Monrovia au temps d’Ebola

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 Willie Mulbah, volontaire pour MdM
(c) Luc Evrard

 

 

Monrovia in times of Ebola -ENGLISH VERSION

Gilbert Potier, directeur des opérations internationales et Luc Evrard, directeur de la communication et du développement sont partis la semaine dernière au Libéria, l’un des trois pays les plus touchés par la fièvre Ebola. A Monrovia, la capitale, ils ont rencontré les membres de l’équipe MdM sur place , des volontaires, des survivants et le ministre de la Santé Walter T. Gwenigale.

Quand on arrive d’Europe, nourri des images d’hommes-scaphandriers en lutte contre Ebola, imprégné de cette obsédante peur de contagion à quoi se résume pour l’essentiel notre perception de l’épidémie en cours, on est d’abord extrêmement surpris et soulagé.

A Monrovia, capitale du Libéria, l’un des trois pays les plus touchés avec la Guinée et la Sierra Leone, la vie suit son cours normalement. Les Libériens s’affairent, travaillent et se distraient comme si de rien n’était. Ou à peu près.

Comment pourrait-il en être autrement d’ailleurs ? L’épidémie n’a frappé qu’un Libérien sur mille et semble avoir atteint un palier. Pas de quoi tétaniser un pays parmi les plus pauvres du monde qui paie chaque année un tribut infiniment plus lourd au paludisme pour ne citer que cet autre fléau.

La menace Ebola est pourtant bien présente dans cette apparente normalité. Quelques indices l’attestent.

D’étranges bonbonnes en plastique recyclé ont fait leur apparition partout. Devant les échoppes, les habitations, pas toutes, et sur quelques places de villages.

 

C’est la chlorine, l’eau chlorée tueuse de virus, avec laquelle il vous est vivement recommandé de vous laver les mains avant d’entrer. Devant les ministères, cette précaution se double d’une prise de température à distance. Un appariteur vous braque un thermomètre à infrarouges sur la tempe. Pas de fièvre, pas de risque de contagion. Vous pouvez entrer.

 

Il y a aussi ces ambulances qu’on croise une fois ou deux par jours, toutes sirènes hurlantes dans Monrovia. Rien d’étonnant dans une capitale où la circulation est cahotique et dangereuse. Sauf qu’à l’avant de ces ambulances, trônent d’impressionnants équipages encagoulés, les mains gantées, les yeux couverts de lunettes aussi larges qu’un masque de plongée. Ils portent le PPE, Personal Protection Equipment, le fameux scaphandre popularisé par Ebola, protection vitale ici pour qui touche ou convoie un malade. Leur absence au début de la crise a décimé les soignants – plus de 150 en sont morts- et conduit les autorités à fermer les hôpitaux.

Et puis il y a les Centres de Traitement Ebola (ETU), véritables camps retranchés, ceints de hauts murs et de barbelés, construits à la hâte par les organisations internationales gouvernementales ou non pour la prise en charge des malades. Il n’y en avait qu’un au plus fort de l’épidémie, en août : Elwa 3. Faute de place, des patients n’ont pas pu y être admis et sont parfois morts à la porte. Mi-novembre, la situation s’est inversée. 600 lits sont disponibles pour 167 malades en traitement. Et l’aide internationale, si lente à s’activer au début, continue d’augmenter les capacités d’accueil. Les Chinois terminent un nouveau centre, en préfabriqué, tout pavoisé de drapeaux rouges, près du stade Samuel Doe. Mais les hôpitaux traditionnels eux, n’ont pas rouvert. Paradoxe criant de la situation sanitaire. Au Libéria, il est plus aisé aujourd’hui d’être pris en charge pour Ebola que de soigner une maladie courante.

Le médecin togolais Pierre Sallah, coordinateur général de Médecins du Monde, travaille au Libéria où il vit en famille, avec sa femme et ses deux jeunes enfants, depuis septembre 2012. C’est un médecin humanitaire chevronné qui ne s’est guère interrogé sur un éventuel départ quand l’été dernier, la panique Ebola s’est emparée de Monrovia, provoquant l’exode massif de ceux qui le pouvaient. « L’humanitaire c’est l’engagement. Quelle serait notre crédibilité si nous partions quand la population a le plus besoin de nous ? »

Médecins du Monde travaille donc au plus près de cette population. Chaque jour, 400 volontaires de santé communautaire sillonnent les quartiers les plus déshérités de Monrovia et sa banlieue. Ils font du porte-à-porte et diffusent leurs messages de prévention. « Bonjour ! Vous savez quels sont les symptômes d’Ebola ? Comment on l’attrape ? Comment on s’en protège ? Ce qu’il faut faire en cas de doute ? ». Instituteur au chômage depuis la fermeture des écoles, Alex Gandah a perdu un ancien collègue au début de l’épidémie. Il met toute sa force de conviction et son talent de pédagogue dans ce qui lui apparaît comme une mission. « C’est mon devoir. On est généralement bien reçu. Mais souvent les gens manquent de tout. Même de savon pour se laver. Alors quand vous leur parlez de chlorine … »

N’empêche. Ce travail patient, méthodique, de dialogue et d’explication commence à porter ses fruits. « Les comportements changent, se félicite Pierre Sallah. Les gens se protègent mieux. C’est d’ailleurs la principale explication à la réduction sensible du nombre de cas d’Ebola enregistrée depuis octobre. Ce qui a du mal à changer en revanche et nécessite aussi tous nos efforts, c’est la pénurie de matériel et de médicaments dans les centres de santé».

 

Pierre-Sallah-with-Christiana
Pierre-Sallah-with-Christiana
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L'équipe2
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Médecins du Monde en soutient 5 aujourd’hui à Monrovia : Clara Town, Soniwein, Chocolate City, Bromley Virginia, Duport Road. 600 000 Libériens vivent alentour et n’ont d’autre recours dès lors qu’ils ont besoin de se soigner. Ces cinq centres ont des différences : à Soniwein, il côtoie une décharge publique. A Chocolate City, les voisins peuvent apercevoir les femmes qui accouchent.

 

Mais ils ont un point commun : les soignants n’ont souvent que leur bonne volonté pour venir en aide aux patients. « Sans les médicaments et le matériel que nous livre maintenant Médecins du Monde, nous n’aurions rien pour soulager les gens, rien à prescrire ». Akoi Kullie, médecin assistante du centre de santé de Chocolate City précise son constat : « C’était difficile avant. Ebola n’a rien arrangé ».

 

Le ministre de la Santé Walter T. Gwenigale ne la contredit pas. Rencontré en tout début de soirée chez lui où il regarde un match de football en savourant nous dit-il un « Cuba Libre », il se livre d’abord aux remerciements d’usage pour l’action de Médecins du Monde au Libéria, avant de lâcher : « Ebola a ruiné le plan décennal pour la santé que nous avions lancé en 2011». Si on se souvient qu’il n’y avait que 50 médecins en activité au Libéria avant l’épidémie – soit un médecin pour 80 000 personnes-, on se dit que ce plan devait singulièrement manquer d’ambition.

 

Ebola ou pas, tout est à (re)faire pour la santé au Libéria. Korlia Bonarwolo y croit et sait de quoi il parle. Ce médecin-assistant de 25 ans a contracté Ebola en juin en prenant soin d’une collègue infectée qu’il n’a pu sauver. Il est resté entre la vie et la mort pendant trois longues semaines. « J’étais affolé, reconnait-il. Je pensais ne pas m’en sortir ». Finalement guéri, il a repris des forces, la dizaine de kilos qu’il avait perdue. Avec l’énergie de celui qui a frôlé la mort, il travaille aujourd’hui dans un des CTE (ETU) de la capitale. Immunisé, il peut approcher les malades sans crainte ni « scaphandre ». « J’aide les malades. Je les soigne. Mais aussi je leur donne de l’espoir. Je suis la preuve vivante qu’on peut s’en sortir. C’est bon pour leur moral, et celui de toute l’équipe soignante »

Avec d’autres anciens malades guéris comme lui, Korlia Bonarwolo vient de créer une « association des survivants » pour aider le Libéria à sortir d’Ebola… et à relever la tête.

 

Luc Evrard

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