Madagascar : les maux de la faim

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En 2021, la violente sécheresse qui frappe le grand sud de Madagascar pousse Médecins du Monde à ouvrir à Ambovombe, capitale de la région Androy, un programme d’amélioration de l’accès aux soins et de lutte contre la malnutrition. Un an plus tard, la tâche reste immense.

Il balaie la pointe méridionale de Madagascar entre septembre et novembre. Le tiomena, ou vent rouge, charrie terre et sable par bourrasques, détruisant les plantations, infiltrant l’eau et les voies respiratoires. Alimenté par la déforestation, le phénomène accroît l’insécurité alimentaire et la menace sanitaire qui pèsent sur les populations. C’est un fléau de plus dans une région ravagée par des années de sécheresse. « Les cyclones qui ont détruit l’est du pays cette année ont apporté des pluies, raconte Giulia Manzoni, coordinatrice du programme d’urgence de Médecins du Monde, mais le problème de l’accès à l’eau est récurrent et le risque de rechute important. »

Dans le sillon des catastrophes climatiques à répétition, malgré l’aide internationale, les sources tarissent, les récoltes s’épuisent et la faim s’installe durablement. Conséquence des privations, les cas de malnutrition aigüe sont fréquents, parfois très graves

Un repas par jour 

Médecins du Monde déploie quatre cliniques mobiles sur une quinzaine de sites à l’extrême sud de l’île. Parmi ceux-ci, le fokontany1 de Vohimiari. La sécheresse y sévit impitoyablement. Les citernes financées par les villageois et les bassines glissées sous les avant-toits de taule ne récupèrent que poussière. Trouver de l’eau exige des sacrifices, sans satisfaire tous les besoins – consommation, cuisine, agriculture.

Soanavorie vit avec son mari et ses cinq enfants dans une seule pièce au sol en terre battue. « On marche jusqu’à la route nationale pour donner notre bidon à un conducteur de camion qui va à Amboasary, explique-t-elle. On paye 1 000 ariarys pour qu’il le remplisse au fleuve Mandrare. » D’autres doivent se tourner vers des revendeurs et débourser jusqu’à 5 000 ariarys pour 20 litres quand il n’en coûte que 500 habituellement.

Avec peu d’eau, les familles se contentent de faire cuire du manioc ou des herbes sauvages et se limitent à un repas par jour, vers 16h. « Le matin on ne mange pas, le midi uniquement si les enfants se sentent mal », poursuit Soanavorie. Dans une autre maison, une femme ajoute qu’on peut surveiller l’état des enfants pendant la journée, mais qu’il faut les nourrir le soir pour qu’ils tiennent le coup toute la nuit. Conséquence des privations, les cas de malnutrition aiguë sont fréquents, parfois très graves. Or, comme tant d’autres, Soanavorie ne peut emmener ses enfants au centre de santé situé à plus de dix kilomètres. D’autant que les médicaments, payants, sont inabordables.

C’est pour faire face à la malnutrition et au renoncement aux soins que Médecins du Monde intervient à Vohimiari. Dans des maisons prêtées par les villageois ou à l’ombre d’un tamarinier, une médecin, deux paramédicaux et une travailleuse psychosociale enchaînent consultations et séances de sensibilisation.

Anselme Razafimahavonjy est infirmier spécialisé en nutrition. Pesée, mesure du périmètre brachial et test de l’appétit lui permettent de vérifier l’évolution des enfants souffrant malnutrition aiguë sévère et de détecter les nouveaux cas. Aux mères, il distribue conseils et paquets de Plumpy’Nut, un aliment thérapeutique à base d’arachide.

Elvine, 22 mois et à peine plus de 7 kg, en est à son deuxième rendez-vous. Avec 200g de plus sur la balance, elle semble bien répondre au traitement. Contrairement à Françoise, 18 mois, qui continue de perdre du poids après trois mois de suivi et se tient difficilement assise. Elle devra être envoyée à l’hôpital. « Nous demandons aux agentes communautaires qui travaillent avec nous de faire des visites à domicile, explique Anselme Razafimahavonjy, pour vérifier que le complément est bien donné à l’enfant malnutri. » Quand la nourriture manque, les rations sont parfois partagées avec les autres enfants.

Des sujets tabous

Actrices clé des cliniques mobiles, les agentes communautaires font le lien entre Médecins du Monde et la population. Elles organisent les consultations, font remonter les problèmes, orientent les séances de sensibilisation menées par Harafa Rahantomirefy, la travailleuse psychosociale. C’est ainsi que Tiana, 19 ans, mère célibataire d’une fillette de 9 mois, entend parler de planification familiale pour la première fois avant de se décider à rencontrer Sylva Herinandrasana, la sage-femme en charge de la santé sexuelle et reproductive, pour recevoir une injection contraceptive.

La contraception, comme les violences liées au genre ou la protection contre les infections sexuellement transmissibles (IST), demeure un sujet délicat. À 38 ans, Fenosoa a 14 enfants. Elle voudrait elle aussi contrôler ses grossesses mais n’ose pas en parler à son mari. Venue consulter
Tracy Samisoa, la médecin de la clinique mobile, pour des lésions sur le corps de son bébé, elle découvre qu’elles pourraient être liées à une IST. « Le centre de santé est à deux heures de marche. On pensait que ça n’était pas grave, que ça allait passer. Avec mon mari, on n’a pas de symptômes. On apprend que c’est une maladie grâce à Médecins du Monde. » Tracy Samisoa lui demande de revenir en famille pour faire des tests. « Nous détectons beaucoup d’IST que nous soignons avec des traitements à large spectre, souligne-t-elle. Par ailleurs nous rencontrons des affections respiratoires, des maladies diarrhéiques, des dermatoses. »

Avec plus de 80 consultations par jour, sans compter la vaccination, le rythme est soutenu. Mais les carences et les besoins restent nombreux, à l’image des défis à relever pour améliorer durablement l’accès aux soins, à l’eau et à la nourriture à Madagascar.

Article paru dans Tous médecins du Monde,
le magazine des donateurs n°149 Hiver 2023 

 

Ricauphin Randrianambinina
Médecin

« Lorsque nos cliniques mobiles détectent des cas de malnutrition aiguë sévère qui nécessitent des soins au CRENI*, elles assurent le transport du patient jusqu’à l’hôpital d’Ambovombe. Le personnel le prend alors en charge et je l’accompagne. C’est l’objectif de la présence de Médecins du Monde à l’hôpital, vérifier le suivi des protocoles. À son arrivée, l’enfant reçoit un traitement à base de lait thérapeutique et des antibiotiques pour éliminer toute forme de pathologie associée. Lorsque son état s’améliore, il peut être référé vers un centre de santé. Si d’autres formes de pathologies sont détectées, nous prenons en charge les frais d’intervention. C’est le cas d’une petite fille de 18 mois qui a fait plusieurs séjours au CRENI. Elle souffrait d’une importante hernie qui a pu être opérée grâce à Médecins du Monde. Elle a maintenant une chance de guérir de la malnutrition. »

 

 

 

 

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