Retour de Palestine

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Je viens de passer quelques jours auprès de l’équipe Médecins du Monde en Territoire palestinien occupé. J’y suis allée en compagnie de Lisa Duforest, chargée de projet au sein du Pôle de la Vie Associative (PVA), qui veille plus particulièrement à appuyer la mise en place des pools.

Nous avons beaucoup parlé des nouveaux pools ces derniers mois, dans le cadre du projet RPAI (Redynamisation du Portage Associatif à l’International): ils remplacent le portage associatif précédent que constituaient les triptyques et les groupes géopolitiques. Pendant 4 ans au sein du CA, j’ai participé au sein d’un comité de pilotage à leur élaboration, c’est l’aboutissement d’un long processus participatif un peu freiné par la pandémie de COVID-19. Mais ça y est nous y sommes ! Les premiers pools sont en train de se constituer et, pour ma part, depuis longtemps impliquée au sein de MdM auprès des missions Proche-Orient/ Afrique du Nord, je me propose d’intégrer le pool Liban-Palestine.

Ce déplacement était l’occasion de partager avec les équipes sur le terrain la philosophie du chantier RPAI et les concepts qui ont été élaborés pour en assurer la mise en œuvre.

Un des grands principes de cette réforme est la  nécessité d’impliquer davantage, et même avant tout, les acteurs locaux des pays dans lesquels MDM intervient, salariés de droit local, anciens salariés, partenaires, personnes ressources côtoyées sur le terrain … L’implication des équipes locales dans la vie associative de MDM est fondamentale. Nous avons eu avec les collègues palestiniens des discussions passionnantes, vivantes, très engagées, je ressens après ces quelques jours passés en leur compagnie un sentiment d’appartenance fort, qui existe très certainement sur nombre de terrains MdM.

J’ai été il y a une quinzaine d’années desk Moyen-Orient, ce retour était aussi l’opportunité de revoir quelques collègues palestiniens, toujours là, et de comprendre l’évolution de nos programmes. La santé mentale reste une des composantes fondamentales de l’action de Médecins du Monde en Palestine, comment faire autrement alors que les violences ont pris de formes multiples, qu’elles sont récurrentes et encouragées par un Etat occupant qui a transformé la carte de la Cisjordanie en un archipel d’ilots rabougris au fil des ans. Humiliations et vexations font partie du quotidien. Malgré les freins à la circulation, les équipes mobiles MDM parcourent la Cisjordanie pour traiter une population traumatisée par les violences quotidiennes de l’armée israélienne ou des colons, devenus très virulents. A Gaza, ce minuscule territoire dans lequel survivent deux millions d’habitants, MDM est aussi très présente sur le champ de la santé mentale, ainsi que dans la chaine de traitement des urgences médicales, en s’appuyant très largement sur les communautés locales. Comme hier, je reste émerveillée par l’implication, la force de convictions, le professionnalisme et l’engagement des équipes, toujours enthousiastes, offrant une parade aux blessures personnelles et familiales que chacun a traversé sans aucun doute.

Hasard de calendrier …

Il y a tout juste 20 ans, en 2002, je mettais les pieds pour la première fois en Territoire palestinien occupé. Nous étions alors en pleine 2ème Intifada.  Dans plusieurs grandes villes de la Cisjordanie, l’armée israélienne effectuait des incursions quasi journalières et un blocus avait pendant plusieurs mois paralysé ces mêmes villes. Si la situation générale semble en apparence n’avoir guère changé, elle a gagné en complexité.  “Trouves-tu la Palestine changée ?” me demandaient les collègues palestiniens. Comment répondre à la question sans noyer l’interlocuteur dans une multitude de détails qui témoignent pourtant de conditions de vie sans cesse détériorées ?

Il y a 20 ans, Israël engageait la construction d’un mur de séparation avec la Cisjordanie. A ce jour, long de 712 kms, il est construit à près de 70% et a permis à l’Etat hébreu de récupérer unilatéralement près de 10% du Territoire palestinien occupé tel que défini par les accords d’Oslo.

Il y a 20 ans, 220 000 israéliens vivaient dans des colonies en Cisjordanie. Ils sont aujourd’hui près de près de 600 000 et 750 000 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, sans compter ceux qui vivent dans la centaine d’avant-postes construits sans l’autorisation des autorités israéliennes mais tolérés et même protégés par leurs forces de défense.

Il y a 20 ans, la violence était bien sûr déjà là. Mais ces dernières années, elle s’est généralisée. Pire, elle s’est institutionnalisée. L’ONG israélienne B’tselem recense près de 800 incidents depuis 2020, dont 218 agressions physiques.

Il y a 20 ans, en pleine deuxième Intifada, le taux de chômage en Palestine avait quasiment triplé, culminant à plus de 28% en 2004. Aujourd’hui, ce taux stagne, et il est devenu le plus élevé au monde. A Gaza, plus de la moitié de la main-d’œuvre est sans emploi, et 83% des travailleurs ont un salaire inférieur au salaire minimum.

Il y a 20 ans, la population palestinienne était de 3 230 000 habitants ; elle s’élève en 2021 à 5 410 000 habitants. Les enfants représentent l’espoir d’une population victime de ségrégation, que plusieurs organisations internationales de droits humains qualifient aujourd’hui d’apartheid.

Il y a 20 ans, l’aide extérieure représentait 21% du PIB palestinien, aujourd’hui elle n’atteint qu’à peine 2% de ce même PIB.

Notre devoir en tant qu’ONG : maintenir le sujet palestinien dans notre agenda politique.

Les rapports se succèdent. La Banque Mondiale, la CNUCED (Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement), l’Agence Française de Développement, l’Union Européenne… Les chiffres sont accablants et font la démonstration des effets pervers de l’occupation sur l’économie palestinienne, exsangue comme jamais, mais ils n’alertent plus personne.

Sur l’échiquier politique, c’est l’impasse. Difficile d’espérer une réconciliation malgré l’accord signé le 13 octobre dernier à Alger, entre le Hamas et le Fatah qui promettent des élections législatives et présidentielles l’année prochaine. Le sommet de la Ligue Arabe qui s’est tenu  les 1 et 2 novembre, également à Alger, avait-t-il vraiment une chance de dépasser les seuls intérêts économiques qui guident les rapports de force entre la plupart de ses membres et les grandes puissances mondiales ? On peut en douter. Du côté israélien, les dernières élections législatives ont donné lieu à une coalition la plus à droite que le pays n’ait jamais connu. La communauté internationale se désintéresse très largement du sort des Palestiniens et s’aligne progressivement sur l’Etat hébreu. Si les équilibres politiques, quelques qu’ils soient, sont fragiles, il est difficile d’espérer le réenclenchement d’un processus de paix.

Que va-t-il advenir des Palestiniens ? Qui se le demande encore ? Nous avons le devoir, en tant qu’ONG, de poser la question, encore et toujours, et de maintenir le sujet palestinien dans notre agenda politique.

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