Le Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) s’est créé à la suite d’une mobilisation autour de lycéens menacés d’expulsion. Fondé en 2004, le réseau se compose de collectifs, de mouvements associatifs, de mouvements syndicaux, de soutiens politiques et de personnes issues de la société civile militant contre l’éloignement familial d’enfants étrangers scolarisés en France.
Sans hiérarchie, le réseau présente la particularité de fonctionner sans président ni porte-parole : chacun de ses membres a le même statut. Brigitte Wieser, militante de ce réseau, a été invitée par MdM pour participer à la table-ronde MdM dans dix ans, ou comment vivre ensemble une utopie?, afin d’y présenter la forme d’organisation originale de RESF : sans direction, avec des décisions prises en consensus.
La Boussole: Quelle perception avais-tu de MdM avant de participer à cette table-ronde ? RESF a-t-il des liens avec MdM, des actions communes ?
Brigitte Wieser : Avant de venir, je pensais que MdM n’agissait qu’à l’extérieur des frontières et qu’il n’y avait pas d’actions en France.
Pour nos actions communes c’est toujours difficile de répondre car chez nous, rien n’est centralisé, chacun a ses contacts. J’ai toutefois constaté que nous avions une action commune envers les jeunes étrangers isolées (mineurs isolés étrangers ou jeunes majeurs). Certains de nos militants envoient peut-être des migrants au CASO par ailleurs. RESF et MdM partagent des combats communs en venant en aide aux plus précaires : les migrants sont « les plus précaires des précaires » en France. C’est une précarité insoignable. Certains n’ont même pas accès à l’AME. Un jeune lycéen isolé vient d’être hospitalisé pour dénutrition cette semaine…
L.B : Quelles recommandations peux-tu faire à MdM quant à son mode de fonctionnement, par rapport à ton expérience au sein de RESF ?
B.W : Les deux modes de fonctionnement sont assez éloignés : MdM travaille avec des salariés, reçoit des subventions… RESF fonctionne quasiment sans argent et sans permanents. MdM est une ONG médicale, de fait on y trouve plus d’experts et de professionnels. Chez RESF nous sommes des citoyens qui nous regroupons autour d’une même volonté : combattre l’exclusion. Nous ne nous appuyons pas sur une expertise professionnelle.
Personnellement, dans le milieu associatif, je recommande que les décisions soient prises partout de façon horizontale et non verticale. Tout le monde est responsabilisé quand il n’y a pas une personne qui dit ce que tout le monde va faire.
L.B : Le président de MdM Belgique a dit qu’un jour vous alliez arriver à changer de « forme d’organisation »…
B.W : Si on avait dû changer de forme, de fonctionnement, c’est-à-dire adopter une structure, ça se serait fait depuis un moment. En 2008, il y a eu quelques velléités de fonctionner avec une vraie organisation, même légère. Cette idée a été balayée : si on se mettait à fonctionner comme une structure aujourd’hui, on perdrait les ¾ de nos militants. RESF disparaitrait peut-être et une autre association plus « conventionnelle » apparaîtrait sans doute mais du côté de RESF je n’ai aucune crainte à ce niveau. Nous restons néanmoins vigilants car les risques existent : quelqu’un peut essayer de prendre le pouvoir, d’autres pourraient être tentés de faire des choses contraires à la ligne RESF.
L.B : Et par rapport à la table-ronde de ce matin, as-tu ressenti qu’il y avait une notion clé qui ressort des échanges ?
B.W : Je crois qu’il faut davantage mettre au centre les personnes bénéficiaires de nos luttes. C’est un peu le défaut de toutes les associations : faire pour les autres. Nous serions plus forts chez RESF si nous arrivions à ce que les sans-papiers prennent davantage leur destin en main. Cela marche assez bien avec les jeunes, certains ont créé une troupe : « Jeunes majeurs sans papiers RESF ». Ils sont aidés par un metteur en scène mais ils travaillent de manière autonome. Des nouveaux arrivent, les anciens restent, ils sont très militants. A n’importe quel moment ils seraient prêts à venir témoigner. Ils sont vraiment dans la lutte. Pour les adultes (parents d’enfants) qui ont été ou qui sont encore dans une situation de grande précarité, c’est plus difficile. Ils ont souvent tellement souffert qu’ils veulent tourner la page. On sent une vraie solidarité mais ils ne peuvent plus. On les encourage mais ils ne nous doivent rien.
L.B : Le modèle de Handicap International qui essaie que les personnes en situation de handicap se fédèrent et portent elles-mêmes leur voie, est-ce une piste ?
B.W : Oui. Mais c’est difficile quand on est dans le combat de survie au quotidien. Et le public est différent. Dans le cas d’une association comme MdM, il faut tenir compte de la diversité des publics auprès desquels elle intervient.
L.B : Une organisation ouverte, organisée en réseau et agissant sur un mode décentralisé, d’interrelations avec des partenaires, des coalitions de causes et des acteurs associés, qu’est-ce que cela t’évoque ?
B.W : C’est un peu ce que l’on fait chez RESF. Ce réseau est composé d’organisations, de syndicats, de petites et plus grosses associations, de collectifs de sans-papiers… Il y a 200 organisations signataires de l’appel de RESF.
Quand on prend une décision, il est évident qu’on ne peut pas consulter les 200 associations. En revanche, elles peuvent toutes s’inscrire sur la liste décisionnaire qui s’appelle « resf.coordination ». Personne n’est évincé.
Il nous est arrivé de reformuler ou d’adoucir nos messages pour faire attention à ne pas se couper d’un nombre importants de militants appartenant à une autre association… La version initiale du communiqué de presse que nous avions préparé pour l’élection de François Hollande, par exemple, a été modérée par respect pour les militants PS de RESF. Il ne faut pas choquer ou heurter les associations membres du réseau…
L.B : Comment as-tu senti les gens autour de cette table-ronde ? As-tu senti que MdM était prêt à se remettre en question dans la refonte du projet, quitte à abandonner quelques éléments de son modèle d’organisation ?
B.W : J’ai senti beaucoup de bienveillance. En même temps, je m’attendais à ce que les gens partagent les mêmes valeurs, je ne m’attendais pas à un affrontement !
Je pense qu’il y a un désir de plus de démocratie. Moins on fonctionne de façon pyramidale, plus il y a de démocratie. J’ai eu l’impression que c’était l’idée motrice.