Au centre, Christian Laval, modérateur de la table-ronde
MdM dans 10 ans ou comment vivre ensemble une utopie ?
En donnant la parole à d’autres collectifs de militance, nous avons tenté de dessiner une cartographie plurielle de la société dite civile (y compris dans la désobéissance). Médecins du Monde est alors apparu comme un collectif d’engagement parmi d’autres, de formes et de composition variables et changeantes. International (Handicap), Sans Frontière (Réseau d’Education), ou transnational (CLACAI, consortium latino-américain), ces collectifs partagent des valeurs et des visions qui sont les nôtres : dépasser les réflexes identitaires nationaux surtout lorsqu’ils font front contre l’inestimable diversité des formes de vie, refuser l’extension de la marchandisation du monde lorsque celle-ci s’attaque à la chair et à l’esprit du génie humain, enfin imaginer des hospitalités, des rencontres, des partages, des libertés, des égalités, des solidarités alternatives à la brutalisation des sociétés.
Que veut-on dire par l’emploi de ce terme ? Si depuis quatre décennies, le mouvement humanitaire s’est ancré durablement dans la vie sociale, son cœur de cible a peu à peu changé. Certes, il vise encore et toujours à participer à l’extension des droits humains (à la santé, à l’éducation, à l’expression) partout où les peuples ont conquis le pouvoir de les revendiquer. Mais l’urgence du moment est ailleurs. Plus prosaïquement, en faisant vivre, parfois dangereusement, des interventions avec ceux qui sont confinés à la lisière du monde, la cause dite humanitaire combat un processus lent et violent de déshumanisation. Ce front-là n’est pas que national. Calais et Lampedusa illustrent cette blessante et insoutenable actualité de la brutalisation sociale au cœur de la vieille Europe. L’actualité syrienne pose la lutte contre la déshumanisation au cœur de sociétés dictatoriales. D’autres exemples abondent.
Alors si quoi faire demeure plus que jamais légitime, comment faire et avec quelles forces ? La « table-ronde » sur les modèles d’engagement a montré que la palette des possibles est large, protéiforme, changeante, variable selon le temps et le lieu de naissance des collectifs. Pour sa part, Médecins du Monde est devenu, au fil des ans, une manufacture humanitaire complexe dont l’organisation originale, est consécutive à son histoire et à celle des hommes et femmes qui l’ont forgée. Il ne s’agit donc pas de chercher ailleurs un modèle auquel nous devrions ressembler. Il s’agit encore moins de nous proposer un modèle pour des disciples humanitaires en herbe. Il s’agit de construire ensemble un projet associatif qui servira de modèle transitoire à une réalité associative en devenir car déjà existante. Bref de forger un modèle d’humanité qui nous ressemble et rassemble au-delà de « nous ».