Le rapport 2014 Accès aux soins des plus précaires dans une Europe en crise sociale, a été lancé le 13 mai à Madrid, à Médicos del Mundo España, en présence des présidents des 15 associations du réseau international de MdM. De très nombreuses reprises dans les media (presse écrite, TV, radios, média sociaux) ont permis de faire connaître les constats venus de 16 881 patients reçus en 2013 dans 25 villes de 8 pays…
Le projet européen est né de la volonté croisée de plusieurs membres de chaque conseil d’administration des 11 associations Médecins du Monde en Europe
La décision de la part de chaque CA des 11 associations Médecins du monde en Europe est tout d’abord le fruit d’une confiance mutuelle, qui a pu croître grâce à des collaborations concrètes, comme notamment les deux premiers rapports de l’Observatoire, l’exposition « Exil/Exit », ou la Déclaration européenne pour un accès aux soins sans discrimination. Deuxièmement, à l’instar du projet politique de l’Union européenne, l’envie d’organiser un travail commun a été plus importante que la définition d’objectifs précis en amont.
Basés sur l’expérience du projet HUMA et en concertation étroite avec les équipes de terrain à travers l’Europe, voici les éléments qui ont conduit à un consensus pour une action européenne :
– le discours de certains politiciens populistes et xénophobes prenant les immigrés en ligne de mire, leur faisant porter la responsabilité des difficultés économiques et mettant en exergue des problèmes de sécurité ;
– les difficultés croissantes à obtenir un accès aux soins pour les sans-papiers dans la plupart des pays européens ;
– le désarroi, voire le dégoût des équipes de terrain constatant que des étrangers étaient expulsés vers des pays où ils ne pourraient pas recevoir les soins nécessités par leurs pathologies.
L’espoir s’est donc reporté sur une action convergente au niveau européen pour tenter d’influencer les politiques nationales.
Pourquoi l’Europe s’est-elle imposée comme le niveau politique permettant de progresser ?
D’une part, parce que le Conseil de l’Europe produit à la fois des analyses de la situation dans chacun des pays et des recommandations très précises afin de sauvegarder et de promouvoir les droits humains et un développement respectueux des individus. D’autre part, parce que l’Union européenne produit des textes qui s’imposent aux États membres, qui doivent les transcrire dans leur droit national. Le réseau international de Médecins du Monde garde l’espoir qu’il sera un jour possible de faire entériner le droit à l’accès aux soins comme un droit fondamental lié à la personne humaine (et non pas au statut ou à la richesse) sur tout le territoire de l’Union.
Progressivement, la couverture du recueil et de l’exploitation des données collectées s’étend à travers le réseau international de MdM
En 2006 et 2008, l’Observatoire européen de l’accès aux soins de Médecins du Monde¹ (MdM) a mené une enquête portant spécifiquement sur les personnes sans papiers² , réalisée auprès d’échantillons de consultants dans différents pays européens³ .
En 2012, l’Observatoire du réseau international présentait les données recueillies auprès de l’ensemble des personnes dans cinq villes d’Europe. L’année dernière, le rapport 2013 mettait l’accent sur les obstacles dans l’accès aux soins et les conditions de vie des personnes en situation d’exclusion en Europe en temps de crise et de montée de la xénophobie en Europe dans 14 villes de sept pays.
Cette année, nous sommes heureux de présenter les analyses de données collectées en routine dans 27 villes de 10 pays. En effet, les données proviennent de huit pays européens ainsi que, pour la première fois, d’Istanbul, en Turquie, et de Montréal, au Québec.
Ainsi, progressivement, la couverture du recueil et de l’exploitation de ces données de routine s’étend à travers le réseau international de MdM. Les questionnaires sociaux et médicaux communs sont revus chaque année pour améliorer la qualité des données et des analyses produites. De telles analyses se veulent un « témoignage statistique », une photographie des situations des personnes en grande précarité sociale rencontrées dans les différents programmes que MdM conduit en Europe.
Avec toutes leurs imperfections et leurs biais, ces analyses nous semblent indispensables et riches d’enseignements dans le sens où elles nous informent sur les conditions de vie, l’état de santé et l’accès aux soins des plus vulnérables, ceux-là même qui n’apparaissent jamais dans les statistiques publiques et très rarement dans la recherche académique en santé publique.
Les rapports annuels publiés par le réseau international sont un outil puissant pour soutenir nos actions de plaidoyer auprès des instances européennes et gouvernementales
Nous avons ainsi pu obtenir des avancées significatives dans les prises de position tant du Conseil de l’Europe que du Parlement européen et de la Commission.
Ainsi le Comité européen des droits sociaux (CEDS), en janvier 2014, critique explicitement la réforme sanitaire en Espagne à la suite d’une réclamation de MdM International. Selon le Comité, « […] La crise économique ne doit pas se traduire par une baisse de la protection des droits reconnus par la Charte. Les gouvernements se doivent dès lors de prendre toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces droits soient effectivement garantis au moment où le besoin de protection se fait le plus sentir ». Cette écoute de la part du Comité se retrouve également dans la réponse positive et immédiate de la part du secrétariat du CEDS, concernant notre demande de ne pas parler de migrants « illégaux » dans les rapports sur chaque pays, puisque aucun être humain ne peut être « illégal ».
Mais l’action de MdM se ressent aussi à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Grâce à ce recueil de données fiable, MdM publie des rapports pour appuyer son argumentaire. Cette rigueur a permis l’adoption, en mai 2014, de la résolution 1997/2014. Cette résolution, qui fait suite à un rapport initial rédigé par MdM, déclare qu’« un migrant séropositif ne devrait jamais être expulsé s’il apparaît clairement qu’il ne recevra pas les soins de santé et l’assistance nécessaires dans le pays vers lequel il est renvoyé. Le fait d’expulser cette personne reviendrait à la condamner à mort ».
Le Parlement européen est lui aussi concerné par l’action de plaidoyer de MdM. En effet, la résolution 2014/2007 sur l’emploi et les aspects sociaux du rôle et des opérations de la Troïka souligne les effets négatifs de certaines recommandations de la Troïka sur les systèmes de santé nationaux. Pour cette résolution, le rapporteur Alejandro Cercas s’est notamment basé sur la présentation de MdM devant le groupe socialiste européen (juin 2013) et sur les notes de la table ronde « Impact de la crise sur la santé des femmes et des enfants » en novembre 2013.
MdM prend également la parole dans de multiples conférences telles que la Conférence sur la discrimination dans les soins de santé ou la Ve Conférence européenne sur la santé des migrants et minorités ethniques.
Ces participations permettent de sensibiliser les professionnels de la santé, levier essentiel pour obtenir des changements de pratiques dans chaque pays. En outre, notre rapport est réutilisé par des experts dans le domaine de la santé publique, notamment par le chercheur renommé Martin McKee.
Les résultats positifs de nos actions de plaidoyer au niveau européen ne sont possibles que grâce à l’analyse précise du contexte (législatif, politique, etc.), alliée au recueil de données mis en place par la direction du réseau international (DRI) pour le réseau, le tout illustré par des études de cas transcrivant les paroles des patients.
Dans les mois qui suivent, MdM va concentrer son action sur un mapping du nouveau Parlement européen et sur le plaidoyer en faveur des femmes enceintes et des enfants.
On peut citer un certain nombre d’avancées concrètes sur le terrain sans toutefois pouvoir les lier directement à notre seul travail mais aussi à la potentialisation des plaidoyers nationaux grâce aux outils de comparaison internationale que nous produisons
En Suède, les immigrés sans autorisation de séjour et leurs enfants n’avaient accès qu’aux soins d’urgence, qui leur étaient ensuite facturés. En juillet 2013, une nouvelle loi est entrée en vigueur, qui permet l’accès aux soins de tous les enfants, sans paiement, dans les structures publiques de soins. Les adultes sans papiers ont obtenu les mêmes droits que les demandeurs d’asile : l’accès aux soins « qui ne peuvent pas être remis à plus tard », les soins pré et postnataux, le planning familial, l’interruption de grossesse et les soins dentaires « qui ne peuvent pas être remis à plus tard » à condition de régler le forfait de 6 euros pour chaque consultation auprès d’un médecin ou d’un dentiste. De nombreux professionnels de santé ignorent encore ce changement. En outre, la loi n’est pas toujours correctement appliquée.
En France, le seuil de revenu pour accéder à la gratuité des soins via la couverture maladie universelle a été relevé, ce qui devrait se traduire par une couverture à 100% pour 600 000 patients supplémentaires. Le même seuil s’applique aux immigrés sans papiers pour l’Aide médicale d’État (AME). En outre, le forfait d’accès à l’AME de 30 euros pour les immigrés sans papiers, introduit par le précédent gouvernement, a été retiré en 2012.
En Allemagne, depuis 2007, les personnes ayant perdu leur couverture santé devaient s’acquitter d’une dette majorée d’intérêts à hauteur de 5 % si elles souhaitaient en bénéficier à nouveau. Depuis la loi d’août 2013, ces intérêts s’élèvent « seulement » à 1 % et il existe une possibilité d’être exempté de sa dette.
En améliorant nos actions nous augmentons notre force politique
Les Médecins du monde, grâce en partie au projet européen mais aussi à l’organisation par la DRI de nombreuses occasions d’échanges sur les pratiques couplées à une volonté politique forte de la part de plusieurs membres des conseils d’administration des 11 associations, augmentent d’année en année la cohérence de leurs actions et de leurs plaidoyers.
Cela donne au réseau tout son sens : à partir des capacités de chacun, nous améliorons nos actions et augmentons notre force politique pour obtenir des changements positifs tant dans les législations que dans les pratiques.
Nathalie Simonnot
1 L’Observatoire européen a été renommé « Observatoire du réseau international » en 2011.
2 P. Chauvin, I. Parizot, N. Drouot, N. Simonnot, A.Tomasino European survey on undocumented migrants’ access to health care. Paris: Médecins du Monde European Observatory on Access to Health Care, 2007, 100 p.
3 P. Chauvin, I. Parizot, N. Simonnot, Access to healthcare for undocumented migrants in 11 European countries. Paris: Médecins du Monde European Observatory on Access to Health Care, 2009, 154 p.