Arrivé à l’été 2019, le nouveau préfet de Guyane s’est fixé pour objectif d’évacuer un quartier d’habitat illicite par mois dans l’agglomération de Cayenne. Une politique qui vise surtout à décourager l’immigration illégale. Les associations dénoncent l’absence de relogements suffisants.
Deux reportages audio :
Le Mont Baduel est une véritable favela française, une colline, occupée par des centaines de baraques de tôles et de bois de récupération, aux couleurs vives. Les habitants, 5 000 selon les associations, cheminent sur des sentiers souvent boueux, entre deux habitations de fortune, sur les hauteurs de Cayenne.
Ici, Junior s’est installé il y a trois ans et demi, à son arrivée d’Haïti avec son épouse, aujourd’hui enceinte de huit mois, et leurs deux enfants. “Il y a un risque d’expulsion” attaque d’emblée le jeune homme, qui a vu il y a plusieurs mois sa demande d’asile rejetée. “Je suis en situation irrégulière, j’avais des problèmes dans mon pays et je suis venu ici pour soulager ma situation, mais si on me met dehors, je ne saurai pas quoi faire, je n’ai personne ici” s’inquiète-t-il.
Quatre évacuations depuis septembre
Pour le mont Baduel, un jugement d’expulsion a été rendu et les habitants craignent désormais l’ordre d’évacuation que doit donner le préfet, Marc Del Grande, arrivé à l’été 2019 à Cayenne. Sa feuille de route est claire : une évacuation de quartier par mois. Quatre quartiers d’habitats illicites ont ainsi été déjà évacués, certains sans décision de justice, mais grâce à un article de la loi ELAN, qui autorise des évacuations par simple arrêté préfectoral, à Mayotte et en Guyane.
Au Mont Baduel, beaucoup des habitants du bidonville sont, comme Junior, en situation irrégulière, mais certains ont des papiers en règle et ne trouvent nulle part où habiter à Cayenne, où l’accès au logement est saturé. Et après les expulsions des derniers mois, le quartier a vu son nombre d’habitants gonfler.
Pour l’expulsion, “plusieurs dates ont déjà été communiquées mais il n’y a toujours pas de destruction, car évidemment, 4 000 personnes dans les rues de Cayenne, cela ne fait pas une bonne publicité” estime Milo Oxygène, professeur d’anglais et membre de l’association Viva, qui vient en aide aux habitants.
Des relogements largement insuffisants
Comme Viva, plusieurs associations dénoncent depuis plusieurs mois ces évacuations en cascade à Cayenne et dans les communes voisines, car elles ne prévoient pas suffisamment de relogement pour les habitants. Le préfet assure pourtant mettre en place systématiquement des diagnostics sociaux dans les quartiers avant d’opérer des évacuations.
“Sur la première expulsion du quartier de la Mâtine (au mois de septembre, ndlr), il était prévu de reloger 700 personnes en hôtel mais la capacité hôtelière du territoire ne peut pas répondre à ce volume” souligne par exemple Aude Trépont, coordinatrice en Guyane de Médecins du monde. Pour elle, le préfet “ne prend pas en considération tout l’aspect social et humain“. Elle avance :
“Quand on expulse les populations, elles ne font que se déplacer, on les retrouve sur d’autres bidonvilles, on ne fait que déplacer le problème”.
Sans compter les conséquences sociales et sanitaires. Plusieurs familles ont dû déscolariser leurs enfants, le temps de retrouver un lieu où loger. Les évacuations ont aussi provoqué des traumatismes.
“Un stress aigu” pour les habitants évacués
“On a eu le cas d’un Monsieur d’origine haïtienne qui s’est effondré et qui verbalisait des idées noires : on a dû l’emmener aux urgences psychiatriques” témoigne ainsi François Lair, psychiatre de l’équipe mobile de l’hôpital de Cayenne, qui accompagnait Médecins du monde sur une évacuation récente. “Les conséquences au niveau psychique sont liées d’une part à un phénomène de perte de l’habitat, et à plus long terme, au phénomène de risque, avec une peur des interpellations et une difficulté de projection dans l’avenir, une notion de stress aigu” ajoute le médecin.
Pour certaines populations de Cayenne, les expulsions sont vécues en série. Dans le quartier dit de « Catéco », la destruction des habitats insalubres s’est faite en plusieurs temps : une première au printemps 2019, puis fin janvier, pour les 21 habitations restantes.
Certains habitants, essentiellement haïtiens, ont alors choisi de s’enfoncer un peu plus loin, dans le marécage, après avoir construit une passerelle, en bois de récupération, sur plus de 500 mètres. “Comme ils nous ont déménagé, on est venu ici” raconte ainsi Luis, brésilien. Avec ses huit enfants et son épouse, il a dû dormir deux mois à la rue.
Une ou plusieurs évacuations prévues à la fin du mois
“Les enfants dormaient dans la voiture” raconte le père de famille, qui dit avoir un titre de séjour français pour vivre en Guyane. “S’ils cassent ici, on ne sait pas où on va“, ajoute-t-il. L’île sur le marécage où il s’est reconstruit une maison est, elle aussi, visée par un jugement d’expulsion, contesté en justice par certains habitants.
Face à ces situations, le préfet ne compte pas pour autant stopper sa feuille de route. D’ici fin février confie-t-il à la presse, un ou plusieurs “petits” quartiers de l’agglomération devraient être évacués, avant une trêve pour la période électorale, en mars, avant les municipales.
Selon nos informations, le quartier de Nzilla, en centre ville, serait le prochain sur la liste. Gildo, brésilien, y vit avec son épouse depuis plus de 20 ans. Il paie un loyer à celui qui se dit propriétaire de sa maison, pourtant illicite. Cet artisan, qui dispose d’un titre de séjour, a même effectué des travaux, son salon est orné d’un carrelage immaculé. “J’ai tout refait pour le propriétaire, c’est un peu triste, ça va être démoli” lâche-t-il, défaitiste : “Tout le monde est inquiet ici, car on n’a pas d’explications pour l’instant“.
Le préfet veut décourager l’immigration illégale
Dans son bureau, en centre ville de Cayenne, le préfet Marc Del Grande, assume sa politique de fermeté. Pas question de renoncer à son objectif d’une évacuation mensuelle. “L’idée n’est pas de réaliser une évacuation par mois pour le plaisir, une évacuation, cela se prépare de façon précise, en mobilisant l’ensemble des acteurs, les services sociaux et les forces de l’ordre” assure-t-il. Selon lui, des solutions d’hébergement sont proposées, notamment aux familles en situation régulière.
Pour les personnes en situation illégale sur le territoire, le préfet assume sa position, avec, de façon clairement affichée, la volonté d’envoyer un message aux candidats à l’immigration. “La Guyane, qui a déjà beaucoup accueilli, se mettrait en danger si elle continuait à accueillir des personnes étrangères, qui s’installent irrégulièrement“, affirme Marc Del Grande, “la Guyane ne peut pas accueillir toutes celles et ceux qui voudraient s’installer irrégulièrement sur son sol, c’est bien le message qu’on souhaite envoyer aussi“.