Tenter un retour à la dignité

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août 2014 – squat des Salines
(c) Sarah Alcalay

Référent logistique à la Cellule Urgence de Médecins du Monde, Jonathan Fontenelle a été sollicité par la DMF afin d’évaluer les conditions sanitaires et humaines des migrants sur le camp « Salam » à Calais.

La Boussole : Pourquoi et de quelle manière la Cellule urgence est-elle intervenue à Calais ?

Jonathan Fontenelle : Après des suspicions de Gale, nous avons été sollicités par la DMF pour évaluer les conditions sanitaires et humaines des migrants sur le camp « Salam » à Calais. L’objectif était de proposer une réponse rapide.

Après une journée passée sur place, une visite du site, des échanges avec les migrants et surtout avec nos équipes, nous avons proposé une stratégie divisée en 3 volets : premièrement, il fallait traiter l’épidémie de Gale si elle était avérée. Le deuxième volet concernait l’amélioration des conditions d’hygiène (installation de douches, latrines, traitement des déchets). Pour le troisième volet, il s’agissait de distribuer des tentes, couvertures, kits hygiènes etc…

Finalement, après une enquête approfondie de la mission France, les cas de Gale n’étaient pas confirmés sur ce camp. Notre réponse s’est donc résumée à de la pure logistique par les deuxième et troisième volets. Sur le camp, il y avait un seul point d’eau où toutes les personnes s’étaient concentrées pour boire, effectuer leur toilette, préparer à manger ou laver leur vêtements. Des toilettes avaient été posées grâce à une autre association à l’extérieur du camp, mais elles n’étaient pas du tout entretenues, pas adaptées, pas assez nombreuses et trop loin des personnes.

L’idée était de tenter d’améliorer les conditions de vie de ces personnes, chercher un retour à un minimum de dignité et de considération via la distribution de tentes, sacs de couchage entre autres, mais également par l’amélioration du système sanitaire et le respect de leur intimité pendant leur toilette.

Notre intervention sur le terrain a duré une journée : comparé à l’international, les camps ne sont pas immenses. De plus, de vrais acteurs sont déjà présents sur le terrain. Nous sommes venus en support à la DMF déjà sur place depuis longtemps. Le principe était d’analyser ce que l’on avait pu observer en une journée pour proposer quelques recommandations.

LB : Par rapport aux standards internationaux comment se situe Calais ?

J.F : Au risque de choquer, en me basant sur les standards internationaux mais surtout à ce que j’ai pu voir sur d’autres missions en France, je dirais que la situation était « tolérable » au début, dans ce camp où les migrants n’étaient pas là depuis longtemps. Il n’aurait pas été si difficile de l’améliorer. Certains bénévoles sont extrêmement investis et travaillent à responsabiliser les communautés car les rapports à l’hygiène sont très variables.
Les moyens mais aussi les règlements sont totalement différents d’un pays à l’autre. Par exemple ; dans certains endroits, pour faire des latrines, on peut creuser des trous alors qu’à Calais, en creusant le bitume, on risque une intervention de la Mairie et des CRS.
Les standards internationaux ne m’ont donc pas toujours convaincus, ils permettent surtout d’avoir une référence commune entre les ONG. Ils prévoient, par exemple, 15 à 20 litres d’eau par jour et par personne. Or quand il nous arrive de ne pouvoir donner que 5 litres, nous le faisons. Pour nous, il semble normal d’avoir des chaussures et de dormir dans un lit alors que certaines personnes n’ont jamais connu de telles conditions et ne se considèrent pas en grande difficulté pour autant…
C’est un long débat et un avis personnel.
L’intérêt de la collaboration avec les acteurs terrains de la DMF a été de partager nos expériences : une vision internationale confrontée/face à la situation du sol français qui présente d’autres contraintes et d’autres risques.

LB : Comment s’est articulée l’intervention de la Cellule Urgence avec le travail de la DMF ?

J.F : Je me suis appuyé sur l’expérience terrain de la DMF car le moindre petit prétexte peut être utilisé pour expulser les migrants. En respectant les standards internationaux, j’ai rencontré des complications. En répondant à un besoin nous créons un autre problème derrière. Par exemple, concernant l’accès à l’eau, nous avons d’abord pensé à des superbes douches, vu les robinets à proximité. Finalement nous avons proposé des douches sans eau courante, avec distribution de seau. Cette solution évite une surconsommation d’eau coûteuse qui pourrait être utilisée comme prétexte pour une expulsion. La difficulté aura été de mêler normes internationales, respect des pratiques culturelles de ces populations et respect des « lois française ». Nous partions dans l’optique que la moindre petite erreur de notre part aurait été le prétexte idéal pour expulser une fois de plus ces migrants.

Le rôle de la Cellule Urgence s’est arrêté après nos propositions-stratégies : budget et note logistique. La DMF a recruté un très bon logisticien en la personne de Jean-Paul Barlatier, avec qui j’avais travaillé précédemment. Je me souviens l’avoir recruté sur le même type de camps, en Tunisie, constitué de 20 000 bénéficiaires suite à la crise libyenne. Les problématiques étaient similaires même si nous étions avec des gens qui sortaient d’une guerre, en plein milieu du désert avec un accès à l’eau difficile. Les cultures y étaient multiples et différentes, les attentes en hygiène et en alimentation complexe.
Une journée c’est court, mais j’avais déjà travaillé sur le secteur France. J’ai aimé avoir l’occasion de me remettre en question sur la stratégie sans me dire « je fais ce travail depuis des années, je sais comment faire ».

J’ai particulièrement apprécié le côté engagé de cette mission : aujourd’hui le logisticien de la DMF est salarié alors qu’il a commencé en tant que bénévole. J’aime ce genre d’histoire, j’ai vu beaucoup de bénévoles avec un discours humain. C’est motivant de voir des personnes qui prennent du temps sur leurs week-end. Cela nous rappelle nos débuts et nous permet de revivifier notre engagement.

Cette expérience a été très intéressante car nous a avons appris les uns des autres. A la Cellule urgence, nous avons des réflexes, une manière de voir les choses, et de se donner des deadline pour tout. La mission France a une approche différente sur une autre échelle, avec des personnes très impliquées, dont des bénévoles.

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