En décembre est paru Les ONG humanitaires françaises à l’international. Etude, analyse et enseignements de dix années d’actions humanitaires aux grands défis aujourd’hui. Cette étude chiffrée a porté sur onze ONG humanitaires dont MdM de 2006 à 2016. Cet état des lieux permet d’alimenter les diverses réflexions et questionnements sur notre place dans la cartographie humanitaire.
L’objectif de cette étude est de montrer « avec des chiffres précis et des tableaux éloquents, quelles sont les capacités individuelles et collectives qu’elles mobilisent pour secourir les populations en danger » indique Alain Boinet, fondateur de Solidarités International et créateur du site Défis Humanitaires, à l’initiative du projet. Les 10 autres ONG sont : ACTED, ACF, AIima, CARE France, Fédération Humanité et Inclusion, MdM, MSF, Première Urgence Internationale, Secours Islamique France, Solidarités International et Triangle Génération Humanitaire.
Le montant total de l’aide humanitaire : une croissance rapide à relativiser
En dix ans, le montant total de l’aide humanitaire internationale est passé de 12,3 à 26,4 milliards de dollars. Cette croissance est à relativiser sachant que le montant nécessaire estimé par l’ONU s’élevait à 40 milliards de dollars lors du 1er Sommet Humanitaire Mondial à Istanbul en mars 2016.
Par ailleurs, le nombre de conflits armés est passé de 278 en 2006 à 402 en 2016, le nombre de réfugiés et déplacés a progressé de 39,5 millions en 2006 à 65,6 millions en 2016 et à 68,5 millions en 2018, et le nombre de catastrophes naturelles a augmenté de 300 par an au début des années 1990 à 500 à partir des années 2000, affectant 124 millions de personnes en 2012 et 204 millions en 2016.
Des progressions variables selon l’ancienneté des ONG, leurs modèles et leurs ressources budgétaires
Si chaque ONG doit être considérée individuellement, l’intérêt d’additionner les chiffres clefs des onze ONG est d’avoir une vue globale du secteur et de son évolution sur une période significative. Ainsi, entre 2006 et 2016, le budget de l’ensemble, dont un tiers est représenté par MSF, est passé de 454,8 à 1 261,2 millions d’euros. La progression durant cette période va de 75 % à 316 % selon les ONG.
La part des budgets allouée aux missions humanitaires (soient les missions sociales du compte emploi ressources), qui vont en moyenne de 76,1 % à 94,9 %, fait apparaître trois modèles à cela. Il y a les ONG qui ont peu de fonds privés et celles qui en ont beaucoup, ce qui correspond à des modèles économiques différents. Il y a également les ONG qui développent la collecte de fonds, un fort soutien technique du siège, des activités de plaidoyer et enfin celles qui n’ont pas les ressources nécessaires et qui développent des modèles alternatifs.
L’évolution des ressources budgétaires, qui distinguent les fonds institutionnels, les fonds privés et les dons en nature valorisés, traduit bien la distinction entre ONG ayant beaucoup de fonds privés et les autres. Cette différence s’explique essentiellement par la date de création des ONG, par le fait que les plus anciennes ont commencé à collecter il y a longtemps alors que cela est difficile, si ce n’est impossible, pour les autres. C’est ainsi que deux ONG ont une très grande proportion de fonds privés (MSF et SIF), tandis que quatre ONG sont à peu près à 50- 50 (ACF, MDM, HI, CARE Fr) et six autres à 5 % ou moins (ACTED, ALIMA, PUI, SI, TGH).
L’évolution des ressources humaines est présentée, comme pour les autres critères, par ONG et par année. Nous avons distingué les effectifs au siège, le nombre d’expatriés et le nombre de nationaux recrutés sur place dans chaque pays. Si l’on retient les seules années 2006 et 2016, le nombre de salariés pour les onze ONG est passé de 694 personnes au siège à 2 034, le nombre d’expatriés de 1 186 à 2 492 et le nombre de nationaux de 16 553 à 23 368. Le total cumulé de l’ensemble est lui passé de 18 413 à 29 573 personnes.
MdM est l’ONG dont le budget a le moins augmenté en dix ans
De 2006 à 2016, le budget compilé des ONG a été multiplié environ par 3. La plupart des ONG de taille similaire à MdM en 2006 ont multiplié leur budget par 3, en 2016 : c’est le cas d’ACF, ACTED, HI, PUI et SI.
En passant d’un budget de 51 millions à 92.9 millions, la croissance de MdM est de 75%.
Avec 316 % d’augmentation du budget (de 47 millions à 165.8 millions) Acted présente la plus importante progression.
Avec Handicap International, MdM annonce la part la moins élevée du budget alloué aux missions humanitaires (82.6%)
Les chiffres de MdM:
Chiffres disponibles en 2008 : Siège-168 ; Expatriés-134 ; Nationaux-1413
2016 : 343 dont 240 au siège Parisien ; Expatriés : 130 Nationaux : 1520
NB : le siège inclut le staff pour les opérations France et ainsi que le staff en région.
Après une croissance importante du personnel du siège de 2008 à 2010 (293) une certaine stabilisation se remarque à partir de 2010 pour atteindre 343 en 2016.
A titre de comparaison, Chez ACF en 2016 on note 288 salariés au siège, aucun en région; 239 expatriés et 4334 nationaux.
Les spécificités de MdM, notamment l’importance accordée au plaidoyer et à la vie associative, en font une ONG à part dans le monde humanitaire
MdM est considérée par cette étude comme une association humanitaire alors que MdM est « hybride » avec des actions humanitaires et de développement (prévention, réduction des risques, plaidoyer etc.).
Notre modèle et nos missions sociales sont bien plus complexes car contrairement à d’autres associations comparables en budget et en ressources, MdM développe des activités de plaidoyer et anime une vie associative riche ;
En effet, la structures de coûts et de dépenses dépendent des priorités de l’association.
De fait, MdM est :
• Une ONG de solidarité internationale qui met en œuvre des programmes d’urgence et de développement ;
• Une ONG de solidarité nationale fortement ancrée en France (avec des ressources humaines en conséquence) ;
• Une ONG qui mène des actions long terme, cherchant un changement durable à travers notamment des actions de plaidoyer, sensibilisation, de renforcement des capacités des acteurs locaux ;
• Une ONG qui recherche l’innovation dans des domaines qualifiés de niche (RdR par exemple) alors que les autres sont des structures qui réagissent à des demandes de bailleurs (i.e ACTED) ;
• Une ONG avec une vie associative riche, présente à tous les échelons de l’association notamment pour la prise de décision ;
• Une ONG qui grâce à une collecte ancienne et bien ancrée a un ratio de fonds issus de la générosité du public important qui lui donne des marges de manœuvre ;
• Une ONG membre d’un réseau international dans lequel elle investit sans pour autant en avoir le contrôle, le pouvoir étant partagé avec les différents membres.
Tous les choix de MdM ont pour conséquence des coûts et des types de coûts différents d’autres ONG humanitaires qui sont :
• Peu voire pas présentes en France et avec une vie associative moins développée comme MSF ou ACF ;
• Ayant des activités de nature moins diversifiée que celles de MdM et reposant essentiellement sur des subventions publiques (et des dons en nature) comme PUI ou SOL.
Les fonds des bailleurs orientés vers les grandes crises :
Par ailleurs les ressources des ONG ayant le plus augmenté entre 2012 et 2016 pour les 133 associations enquêtées par CSud sont, sans surprise, les financements publics internationaux bénéficiant aux ONG répondant aux urgences humanitaires.
Enfin on peut considérer que le ratio coûts siège / coûts projets dépend aussi du type de projet : De grosses dépenses de médicaments (ARV par exemple) comme le fait MSF ou en alimentation pour ACF entrainent un volume financier important des missions. Ces achats donnent un budget très important sans avoir à augmenter les coûts siège.
Fort de ces enseignements, quelle évolution prévoir dans un contexte changeant et concurrentiel : Faut-il une taille critique pour continuer à exister ? Faut-il s’appuyer sur notre réseau ? Faut-il continuer à « cultiver » nos spécificités ? |