À fond de Calais
Entretien avec Martine Devries, médecin généraliste,
responsable de la mission Calais.
La Boussole : Martine, depuis quand êtes-vous engagée auprès des migrants de Calais ?
Martine Devries : J’ai toujours eu une sensibilité pour les gens démunis. En 1977, il n’y avait pas de migrants à Calais à part une quinzaine de familles turques. Les étrangers, c’était les Anglais… Ma clientèle n’était pas du tout défavorisée. Un matin -c’était un mardi-, je me suis dit qu’il y avait ce hangar à Sangatte. Je m’y suis rendue et un quart d’heure après, je me suis retrouvée avec une blouse blanche dans l’infirmerie. J’ai alors commencé à consulter dans ce hangar une fois par semaine en tant que médecin bénévole.
LB : Que s’est-il passé après la fermeture de Sangatte ?
M.D : Après la fermeture de Sangatte en 2002, les gens concernés par les migrants se sont retrouvés dehors. On soignait sur le bord du trottoir. Je me suis alors dit qu’on ne pouvait pas tout réinventer, que des organisations, des gens savaient faire et j’ai été mise en contact avec le responsable de Médecins du Monde à Valenciennes.
LB : Quel est votre rapport avec le bénévolat ?
M.D : Le bénévolat m’a pris une partie de mon temps mais c’est un choix. La reconnaissance ne se situe pas au niveau du salaire, elle est symbolique. Je pense que le travail de certains bénévoles devrait théoriquement être fait par des salariés. Le transport des migrants à la PASS (Permanence d’accès aux soins) par exemple, pourrait être pris en charge par les institutions.
LB : Vous êtes aujourd’hui responsable de la mission Calais, quelles sont vos actions ?
M.D : Je suis interlocutrice auprès des institutions, je participe au comité de pilotage de la P.A.S.S et je discute des grandes orientations de la mission. Je reste également vigilante sur plusieurs points comme l’ouverture des droits à la couverture sociale pour ceux qui demandent l’asile, l’accès à l’eau, la mise à l’abri et l’hygiène ainsi que le soutien aux bénévoles, souvent confrontés à une souffrance terrible.
LB : À la P.A.S.S, on observe aujourd’hui un grand nombre de patients chaque jour pour un seul médecin…
M.D : Oui, à la P.A.S.S de Calais, il y a 40 migrants pour un médecin, qui consulte de 15h à 17h30. En temps normal, environ 400 exilés transitent par Calais mais depuis trois mois, ils seraient 1200. Le budget n’a pas changé pour autant et il n’y a de place que pour un seul médecin salarié. Nous avons alerté l’hôpital sur le fait qu’il y avait un afflux de patients. Le directeur nous a répondu que s’il y avait trop de personnes à soigner, c’est parce qu’on les amenait…
LB : Que pensez-vous globalement de la situation des migrants à Calais ?
M.D : C’est dramatique. Ils n’ont nulle part où aller. Dès qu’ils s’assoient sur un banc, on leur demande de partir. Ils doivent se cacher pour dormir, pour s’assoir… c’est traumatisant pour eux. L’administration, les institutions ne se rendent pas bien compte. C’est un meurtre symbolique de les persécuter continuellement.
Propos recueillis par Sarah Alcalay