Privilégier le travail avec les migrants en les mettant à contribution

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LB : Comparativement aux standards internationaux comment décrirais-tu Calais en 2010 ?

Stéphane Bazonnet  Très simplement, comme une situation humanitaire d’urgence comme à l’international. Les populations y étaient sans ressources, sans abris, sans accès aux soins et en grande précarité. Comparé aux standards internationaux, on était bien en deçà ! Je me rappelle m’être appuyé sur les guidelines des Nations Unies pour les structures d’accueil, à Calais nous étions bien en-dessous. C’était d’ailleurs un argument fort qui mettait mal à l’aise la préfecture lors de nos entrevues.

LB : Quels étaient les besoins et par conséquent quelles sont les actions que tu as menées ?

S.B : Le contexte était un peu particulier puisque deux semaines après avoir commencé, une vague de migrants est arrivée. Les effectifs ont doublé en une dizaine de jours. A cet afflux massif s’est combiné des conditions météorologiques catastrophiques. En urgence, nous avons installé des abris et assuré des distributions de kits grand froid.

Pendant un an nous avons travaillé, avec Mathieu Quinette, à la conception et à la fabrication de standards pour les abris pour qu’il deviennent identifiables et que les destructions de la police cessent. La dynamique a suivi puisque ces chalets ont été construits par la suite.

Concrètement, en tant que logisticien, j’ai surtout répondu aux urgences et supervisé les distributions. Le gros de mon travail a consisté à contrôler l’approvisionnement en eau, la construction de latrines sèches et surtout la construction en urgence d’abris pour les personnes venant d’arriver sur site et n’ayant pas de place pour se loger.

LB : Quelles difficultés as-tu rencontrées sur le terrain ?

S.B : La grosse difficulté a résidé dans le rapport avec les autorités. Le dossier était sensible : en 2010 nous étions toujours sous la présidence de Nicolas Sarkozy qui avait fait fermer Sangatte. Je pense que certains politiciens on fait un peu de zèle pour se faire bien voir par la hiérarchie. Ce que j’ai trouvé hallucinant c’est toute l’énergie déployée par les Renseignements Généraux. J’ai également été fortement marqué par le manque d’approche pragmatique du sujet au profit d’une vision politique et même politicienne de l’affaire. C’était frustrant de bêtise.

LB : Quelles étaient les attentes des migrants et leurs réactions face à ton travail ?

S.B : Mes relations avec les migrants étaient bonnes. Ils m’ont très vite identifié et j’ai pu aller partout en toute sécurité ce qui n’était pas le cas pour tout le monde. A chacun de mes passages je produisais quelque chose et j’étais toujours très attentif à la communication entre les communautés. Je créais du lien, j’étais un agent facilitateur. Cela m’a procuré de jolis moments de rires et d’échanges avec eux.

Tout n’a pas été rose. Le travail est difficile puisque les migrants étant continuellement en mouvement, il faut toujours tout reconstruire. Cette réalité est très usante et frustrante pour les équipes qui restent sur place.

Il y a eu des malentendus compliqués qui ne nous ont pas facilité la tâche. Certains passeurs nous vendaient auprès des candidats à la migration comme si nous étions inclus dans leur pack : nourriture, distribution, duvets… ce qui a pu engendrer un niveau d’exigences et d’attentes décalé. Il a fallu expliquer avec beaucoup de pédagogie que nous n’étions pas un prestataire de service ni uniquement une ONG caritative. Nous avons également noué un dialogue en amont avec les passeurs. Bien souvent ce sont des migrants qui choisissent de rester un peu plus longtemps pour se refaire de l’argent ou d’anciens migrants tout simplement.

D’une manière générale, les discussions ont été possibles grâce à notre politique de non-jugement. Nous nous sommes focalisés sur la santé au sens large, c’est-à-dire conditions de vies comprises, et nous nous y sommes tenus. Il m’est quand même arrivé d’entrer dans le camp et de découvrir des impacts de balles sur les abris. Parfois nous avons été amenés à parler indirectement de la violence et à indiquer clairement que nous ne voulions pas voir d’armes.

LB : Comment s’est passée la prise de marques avec l’équipe bénévole ?

S.B : Ce n’était pas facile car nos actions demandaient une présence forte sur le terrain. Nous avions besoin de beaucoup de disponibilité, de certaines compétences techniques et d’une aptitude à travailler dans un environnement difficile. J’avais trois logisticiens bénévoles avec moi mais ce n’était pas suffisant.

J’ai surtout privilégié le travail avec les migrants en les mettant à contribution. Nous avons réussi à faire travailler ensemble des communautés qui avaient plus l’habitude de se bagarrer entre elles. Cette communication a notamment été possible grâce aux outils qu’ils devaient se partager et entretenir. Il n’a jamais été question d’arriver et de « faire » pour eux. Parfois quand les leaders avaient réussi à passer en Angleterre la dynamique en prenait un coup.

LB : Ton regard sur la situation actuelle ?

S.B : De par l’importance des guerres et des conflits à l’international, les migrants arrivent de plus en plus nombreux sur Calais. Il devient urgent de créer une harmonie au niveau européen sinon la situation restera à jamais identique. La question migratoire dépasse le débat national, même s’il faut bien évidemment discuter d’une approche pragmatique à l’échelle française.

Propos recueillis par Benoit Vierron

Stéphane Bazonnet

“Je suis arrivé comme logisticien dans le NPdC en octobre 2010 pour une année. C’était la première fois que je travaillais sur le territoire national et avec MdM. Avant je travaillais à l’international chez MSF.

Je suis rentré pour des raisons familiales et quand j’ai entendu parler de ce poste dans le Nord j’ai eu envie de me lancer et apprendre la solidarité ici en France après le là-bas de l’international.”

 

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