La Boussole : Quel est le contexte politique et médiatique concernant les migrants aujourd’hui en Belgique ?
Stéphane Heymans : Le débat politique s’est un peu apaisé ici. Il y a quelques années nous avons connu une crise où le nombre de demandes d’asile dépassait notre capacité d’accueil. La politique migratoire s’est durcie en rendant les demandes beaucoup plus contraignantes. De fait, le nombre de demandes est en baisse constante depuis un an et demi. Ce recul n’est que sur le papier : les migrants sont toujours là, ils ne sont tout simplement plus dans les circuits classiques. Malgré tout, le débat est moins polarisé, ce n’est plus un sujet qui occupe une grande place.
Pour ce qui est du climat général, nous sommes dans une société similaire à la société française. Le racisme ambiant existe aussi en Belgique. L’image des migrants reste très négative. Leur accès aux soins reste un sujet tendu.
La Belgique est un pays compliqué. Notre opinion publique est clivée. La thématique migratoire est très présente dans le nord du pays, alors qu’elle suscite beaucoup moins de débats dans le sud. La problématique des migrants en transit apparait essentiellement lors des élections, elle devient un sujet de campagne électorale. C’est la raison pour laquelle en mars et en avril 2014, les médias belges se sont tant intéressés aux projets de MdM France dans le NPdC.
LB : Quelle est la place des migrants dans vos programmes belges ?
S.H : Dans nos centres de consultation à Anvers et à Bruxelles, 85% des patients que nous recevons sont des migrants.
Depuis deux ans nous sommes en négociation pour l’ouverture d’une antenne de consultations médicales à Ostende, la plus grande ville portuaire. Les négociations avancent doucement faute de moyen de notre part. Nous n’avons pas de fonds propres et attendions 5 médecins bénévoles. Mais surtout la pression est beaucoup retombée depuis la faillite de la ligne de ferry. Les migrants sont beaucoup moins nombreux dans la ville. La faillite est d’ailleurs partiellement imputée au flux migratoire clandestin puisque si un migrant se fait prendre en Angleterre c’est à la compagnie de payer une amende. Pour autant, si la pression a diminué à Ostende, les migrants passent toujours pour prendre le tramway pour Zeebruges, par exemple.
LB : Comment vivent les migrants à Ostende? Dans des camps similaires à ceux du NPdC ?
S.H : Quand il y avait le ferry, il y avait des camps dans un des parcs d’Ostende et 2 ou 3 squats autour du port. Depuis la fermeture du ferry ces camps ont disparu. Aujourd’hui les migrants sont sont moins nombreux et absorbés dans la ville d’Ostende. En revanche, lors de mes rencontres avec eux, ils m’ont parlé de l’existence de camps à Zeebruges. Nous projetons d’y aller pour une observation mais pour l’instant nous nous focalisons sur l’ouverture de notre antenne pour des consultations médicales dans un centre de jour pour personnes sans-abris à Ostende. Le service social d’État, dans lequel nous allons travailler, met à disposition une plage horaire spécifique pour les migrants en transit.
LB : Comment travaillez-vous avec la France et le Royaume-Uni ?
S.H : Aujourd’hui nous ne sommes pas encore assez opérationnels, mais les relations sont très bonnes et nous échangeons beaucoup. Cela prend du temps à mettre en place d’autant plus que cela suscite un débat en interne chez nous, car d’un point de vue strictement médical, Ostende n’est peut-être pas la priorité. Notre objectif est aussi de pouvoir témoigner de la situation et de faire le relais des messages sur Calais – Dunkerque. Une mission comme Ostende doit se vivre avec du témoignage et du plaidoyer pour donner un visage aux migrants en transit… C’est impératif.
Le deuxième objectif, peut-être illusoire, est d’assurer une continuité dans les prises en charge entre Dunkerque et Ostende. Je dis illusoire car ce n’est vraisemblablement pas le besoin le plus urgent.
LB : Les partisans des politiques répressives s’appuient-ils sur les mêmes arguments qu’en France ? La même peur du fameux appel d’air ?
S.H : Oui ce sont exactement les mêmes arguments qui sont mis en avant. Un de nos objectifs en ouvrant un programme de consultations médicales à Ostende est de donner un contrepoids associatif, pour témoigner de la situation et des violences policières. Contrairement au NPdC il y a très peu d’associations qui s’occupent des migrants en Belgique et apparemment la violence policière est régulière (dixit les témoignages de Calais-Dunkerque).
La situation du NPdC a été très politisée en Belgique. Un des gouverneurs de province en Flandre a accusé la France d’être la base arrière des passeurs et des migrants notamment à cause des camps du NPdC et de la tolérance des autorités sur ces camps. Dès lors, la pression médiatique s’est fait sentir. Notre projet à Ostende a été rendu public et la question est devenue très politique. Certains partis ont inscrit noir sur blanc dans leurs tracts qu’ils étaient contre l’ouverture d’une antenne de MdM Belgique à Ostende. Nous avons connu deux ou trois mois particulièrement délicats, nous étions sous les projecteurs alors que nous n’avions pas encore ouvert. Le discours était totalement irrationnel « si tu mets un médecin pour un migrant, ça va attirer toutes les migrations du monde ». Nous avons laissé passer l’orage pour reprendre les négociations dans un climat plus serein. Heureusement ce type de discours ne fonctionne pas du tout hors période électorale car les gens ont plus de temps pour réfléchir.
Propos recueillis par Alice Lebel
Stéphane Heymans est responsable des projets belges chez Médecins du Monde Belgique.