La Birmanie est l’un des pays d’Asie du sud-est le plus touché par le virus du sida (VIH) : environ 190 000 individus seraient concernés. Si les personnes consommatrices de drogues et les travailleur.e.s du sexe font partie des populations les plus exposées, elles sont rarement incluses dans les programmes nationaux de sensibilisation et de dépistage du VIH. Dans l’État Kachin, au nord du pays, le programme de réduction des risques de Médecins du Monde est principalement destiné aux personnes usagères de drogues. À Yangon, il vise majoritairement les travailleurs du sexe, et les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH).
Dépistage, traitement et prévention du VIH
A Yangon, 6,6% des travailleurs du sexe dépistés seraient séropositifs. Ce chiffre s’élève à 7% pour la population HSH.
Afin d’aller à la rencontre des personnes les plus éloignées des dispositifs, MdM a mis en place des cliniques mobiles et s’appuie sur le travail de groupes d’entraide implantés à Yangon. Ces groupes, créés par des femmes, des hommes, des personnes transgenres, des travailleurs du sexe, des personnes atteintes du VIH ou d’autres maladies sexuellement transmissibles, ont vu le jour dans les années 2 000. Ces groupes naissent du constat que le changement social doit passer par la mobilisation des personnes directement concernées. C’est en renforçant leur capacité d’agir et en combattant les discriminations qu’une évolution favorable de leurs conditions d’existence est possible.
“En dix ans, les groupes d’entraide ont pris une place fondamentale à Yangon : ils sont entre 50 et 60 aujourd’hui. MdM collabore avec une dizaine d’entre eux afin que les populations accèdent plus facilement aux services proposés. Ces groupes ont une meilleure connaissance du terrain, des populations concernées, des communautés locales et de la police. Ils bénéficient d’une marge de négociation avec les autorités que nous n’avons pas en tant qu’ONG.” Dr Momo, coordinateur site à Yangon |
En s’érigeant comme porte-parole de la cause, les groupes d’entraide souhaitent faire évoluer leurs droits et leur intégration dans la société civile.
En imposant un contexte légal répressif à l’égard des travailleurs du sexe et de la communauté HSH, l’État est le premier vecteur de discriminations : le code Pénal applique des peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison pour des activités de prostitution.
Les groupes d’entraide peuvent agir à différentes échelles. Sur le plan national, ils plaident pour un allègement des poursuites à l’égard des travailleurs du sexe, en négociant directement avec le parlement birman. Ils encouragent également le gouvernement à s’investir de façon plus significative dans la lutte contre le VIH. Les actions engagées concernent aussi la transmission des bonnes informations sur la maladie à destination de l’opinion publique. Des activités de prévention sont dirigées vers les groupes de pairs dans le but de faire évoluer les pratiques.
Home Sweet Home est un des groupes d’entraide partenaires de MdM
Parmi les 157 membres d’Home Sweet Home, environ 80 sont des travailleuses du sexe, et une soixantaine appartient à la communauté HSH, et sont séropositifs.
Des membres actifs du groupe d’entraide Home Sweet Home
Home Sweet Home partage les informations sur les pratiques les plus sûres liées au sexe. Une fois par semaine, les membres du groupe se réunissent dans les locaux de MdM pour parler protection et transmission des maladies. Au-delà des connaissances médicales, c’est aussi un moment de partage des savoirs profanes, pragmatiques et concrets, basés sur l’expérience de la maladie.
« Plus qu’une simple transmission d’informations, nous sommes un groupe de soutien ; nous prenons soin de nous, entre nous. Nous partons du principe que nous sommes plus fort en groupe. Nous construisons collectivement. C’est cette énergie qui permet de reprendre espoir et d’aller de l’avant », explique Sandar (à droite).
La bienveillance et la solidarité sont des valeurs fondamentales du groupe. Home Sweet Home apporte un réel soutien moral à ceux qui en ont besoin. Le partage d’expériences individuelles concernant la maladie crée de l’empathie entre les membres et demeure un vecteur de lien social pour les personnes atteintes du VIH subissant l’exclusion.
Comme un grand nombre de groupes d’entraide, Home Sweet Home reste très attaché à son indépendance.
Pour Sandar, “la meilleure façon d’être efficace est d’être libre… Cela vaut aussi sur le plan financier”. L’organisation s’auto-finance grâce à la mise en place d’activités lucratives : snacks, loterie, mais surtout vente d’objets artisanaux confectionnés par des couturières du groupe, anciennes travailleuses du sexe. Selon le système des coopératives dont les revenus bénéficient aux membres, une partie des gains obtenus est distribuée individuellement en cas de besoin : hospitalisation, frais de scolarité pour les enfants, etc. Une autre partie est destinée aux activités du groupe, pour les actions de plaidoyer, pour les déplacements lors des réunions entre groupes d’entraide, ou pour des événements ponctuels.
Couturières membres de Home Sweet Home réalisant des pochettes pour le financement du groupe | Artisanats et production du groupe d’entraide, dans un grand magasin au centre de Yangon |
Pour MdM, la collaboration avec ces groupes est indispensable pour mener la mission de RdR. Pourtant, ils ne sont toujours pas reconnus officiellement par l’Etat.
« Leur challenge est aujourd’hui la gouvernance et le management pour pouvoir s’institutionnaliser. MdM participe à la formation des personnes dirigeants ces groupes pour leur permettre d’améliorer leur structure et de partager les bonnes informations. Dans le futur, l’objectif est que MdM puisse se retirer pour céder la place à ces groupes d’entraide », conclut le Docteur Momo.