Soigner dans le Kachin

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Ohnmar Myint, infirmière, et Zaw Lay Naing, médecin, sont tous deux membres des équipes de Médecins du Monde dans l’Etat Kachin. Ohnmar travaille à Mohnyin, dans le sud de l’Etat, dans un dispensaire pour méthadone (traitement de substitution aux opiacées). Zaw, lui, pratique à la clinique de Myitkyina, à une centaine de kilomètres. Ces deux soignants partagent leur quotidien au sein de leur structure respective, et les difficultés qu’ils rencontrent sur le terrain.

Un contexte politique difficile

Le quotidien des équipes sur le terrain est fait de résistances, parfois violentes, d’une partie de la population, en raison de nombreux conflits opposant le gouvernement national à l’armée indépendantiste kachin (la KIA) – l’Etat en est fragilisé, et les perspectives de la population birmane appauvries.

Médecins (2) LB 2
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Ohnmar Myint, 34 ans, est née à Mohnyin

J’ai intégré l’équipe de MdM au début de l’année 2016, après avoir travaillé quelques années dans le Nord de l’Etat Shan (au Sud Est du Kachin). J’ai toujours connu le Kachin en conflit avec l’état birman, mais ces 5 dernières années, les combats se sont intensifiés. Malgré les négociations autour du cessez-le-feu, la situation ne semble pas beaucoup s’améliorer.

Mohnyin est une région très rurale ; et la majorité des patients de MdM ont une activité agricole. Le dispensaire de méthadone est situé près d’une colline, activités liées à l’agriculture. Le dispensaire de méthadone est situé près d’une colline, sur un axe aérien emprunté par le Tatmadaw (l’armée birmane). 

Une fois, des affrontements par tirs interposés entre la KIA et l’armée birmane se sont déroulés à quelques minutes de la clinique ; ça a duré plusieurs jours. On pouvait apercevoir les hélicoptères, les explosions au centre de la ville. Même si nous sommes habitués à cette situation, nous avons peur pour nos enfants et notre famille. J’appelle toujours l’enseignant de mes enfants dès les premiers signes de conflit.

La zone est peut-être plus calme ces derniers temps, mais le Tatmadaw essaye toujours de reprendre du terrain à la KIA.

450 personnes bénéficient quotidiennement du traitement méthadone à la clinique de Mohnyin.

Notre programme est rattaché à la clinique de Hopin, à une vingtaine de kilomètres, pour que les clients n’aient pas à couvrir de distances trop importantes, avec des routes parfois bloquées par de nombreux check-points. C’est une bonne chose que nous accueillions beaucoup de personnes, mais nous ne sommes que deux infirmières, aidées par deux travailleurs pairs, pour gérer la distribution, les entretiens individuels – l’après-midi – mais aussi les bagarres qui peuvent éclater entre bénéficiaires. Par ailleurs, nous sommes éloignés des autres services de MdM. Et nous ne dispensons pas de traitements antirétroviraux pour les patients ; les personnes atteintes du VIH doivent aller à Hopin – celles qui le peuvent du moins.

Pour remédier à cette situation problématique, nous suivons actuellement une formation pour ce type de prise en charge. Mais nous avons besoin de soignants supplémentaires pour mettre en place ce projet.

Avec le conflit, les problématiques de drogues sont difficiles à canaliser.

Ce n’est pas la priorité du préfet et de la police. Aussi, la zone est trop grande, trop rurale. La drogue est disponible partout et à très bas prix. La communauté kachin a, globalement, une très mauvaise opinion des usagers de drogues et peut parfois se montrer violente à l’égard de nos clients.

Des réticences communautaires tenaces

A l’instar d’Ohnmar, Zaw et son équipe, pourtant éloignés des zones de conflits, se heurtent aux résistances de la population concernant la prise en charge des personnes usagères de drogues.

Dessinateur (8) 2
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Zaw a rejoint MdM en 2015

J’ai été coordinateur d’équipe dans le dispensaire pour le traitement méthadone de Moe Gaung (à 70 kilomètres de Myitkyina) durant un an et demi, avant qu’il soit en partie détruit par des locaux. Déjà avant cela, plusieurs sites où les personnes s’injectaient avaient été saccagés. Il ne s’agissait pas de vraies salles de shoot, mais des endroits relativement sûrs pour les personnes jusqu’à lors. La situation devenant inquiétante, nous avons dû réduire au minimum nos services pour être tolérés par les habitants. Les méthodes employées dans le cadre de la réduction des risques ont parfois du mal à être comprises par la population : l’idée que « rendre accessible seringues et aiguilles propres encourage les gens à utiliser de la drogue » est persistante ici.

Par la suite, j’ai été promu à la clinique de Myitkyina, une ville relativement sûre qui a toujours été préservée du conflit. 

Les missions sont différentes entre les deux sites car le traitement méthadone n’est pas dispensé à Myitkyina – c’est une compétence de l’hôpital public. 

Ici, le travail concerne davantage le dépistage, le soin et l’accompagnement des personnes malades, en lien avec l’usage de drogues. La prévalence du virus du sida est très élevée dans l’Etat Kachin pour les populations usagères de drogues et leur famille : 52 % des personnes primo-testées dans les centres MdM sont positives au VIH, soit près d’une personne sur deux. La prévalence pour les maladies hépatites B et C, ainsi que la tuberculose, est également importante.

Pour moi, la stigmatisation que subissent les personnes usagères de drogues à Myitkyina ou à Moe Gaung est assez similaire. Il n’y a pas véritablement de groupe politique suffisamment fort qui promeut les droits des personnes consommant de la drogue. La pression ressentie par cette population est un frein à la collaboration soignant-soigné et au processus de soin. Je constate aussi que cette éviction sociale peut être un vrai traumatisme pour les personnes usagères de drogues. C’est pourquoi j’aimerais me former à la psychiatrie, qui me paraît être une compétence complémentaire à cette situation.

 

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