De Calais à Alger …

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Avec la mondialisation, la circulation des biens et des marchandises est en plein essor dès la fin du XXème siècle. La circulation des Hommes, elle, est au contraire de plus en plus contrainte. L’obsession de la « protection » des frontières des pays du Nord, pour la plupart, se traduit par des politiques migratoires qui répondent à des intérêts économiques d’abord (1990-2001), puis « dits » sécuritaires (2001 puis 2011) au détriment total des droits humains fondamentaux. Ces politiques restreignent toujours plus les possibilités de quitter un pays ou de s’y installer. Elles soutiennent « l’aide au retour » bien plus que l’accueil et la protection des personnes.

On assiste ainsi depuis plusieurs années à des politiques de déconstruction des droits fondamentaux inscrits dans la Convention de Genève (Droit d’asile et Dublin II, signature d’accords de coopération/réadmission/mobilité entre États du Nord et du Sud contraires à la Liberté de circulation) en même temps qu’au renforcement des contrôles des frontières (avec des moyens militaires), à la construction de murs (48 murs représentant 30 000 km en 2013 – soit 3 fois plus qu’en 1989 – entre le Maroc et l’Espagne, entre la Grèce et la Turquie, entre l’Arabie Saoudite et le Yémen, entre l’Afrique du Sud et le Mozambique, etc.)¹  et de centres de rétention administrative… autant de mesures qui rendent les parcours migratoires de plus en plus longs et dangereux pour les personnes qui se déplacent alors sans droit de circulation ni de séjour. Ces personnes se retrouvent en situation irrégulière, privée de droits, dans des pays où elles ne sont pas protégées, ni même accueillies, mais bien au contraire, elles y sont criminalisées.

Mali
Mali
Mali

Mali
© David Delaporte

Dans un contexte global de fracture entre le Nord et le Sud sur les plans politiques, économiques et sociaux, démographiques et environnementaux, ces politiques migratoires on ne peut plus hostiles entrainent aujourd’hui deux principales caractéristiques.
D’abord l’impossibilité ou tout au moins la très grande difficulté de traverser certaines frontières, génère des situations d’impasses dans lesquelles se retrouvent les migrants. Ils se voient bloqués en « terre inconnue », sans réseau social ni familial et sans droits : droit au travail, droit au logement, droit à la vie de famille, etc.

Ensuite, la privation de droits des personnes migrantes, voire leur criminalisation, les installent dans des situations de grande vulnérabilité dès le départ de leur pays d’origine²  jusqu’au pays de transit, d’impasse, ou de destination. Elles sont alors exposées à toutes sortes de violences, institutionnelles ou non, individuelles ou collectives, qui se traduisent par des mises en centre de rétention, des arrestations « musclées », des traques, des abus, des trafics, etc.

Alors que plus de 230 millions de personnes migrent dans le monde (soit 3,5% de la population mondiale), la Commission de la Population et du Développement estime à 30 millions le nombre de personnes en situation irrégulière. L’ O.I.T estime lui à près de 21 millions le nombre de victimes de ces trafics, dont près de 60% seraient des femmes et 30% des mineurs. On peut imaginer que ce nombre est très largement sous-estimé…

Certaines régions du globe comme la Libye, le Maroc (avec les enclaves de Ceuta et Melilla) et bien d’autres sont tristement connues du grand public et reconnues par les grandes instances institutionnelles internationales pour ces situations (Union Européenne, Nations Unies). Sur notre hexagone, Calais est le site le plus exemplaire en termes d’hostilité plutôt que d’accueil, de privation de droits, de criminalisation et de violences plutôt que de protection.

Algérie-web
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 Algérie
© Abderrahmane Moussi

Entre frontières infranchissables, privation de droits, abus et violences, on constate in fine une forte dégradation de l’état de santé de ces personnes et une aggravation du risque sanitaire chez les plus vulnérables d’entre elles.

En dehors des pathologies courantes que l’on retrouve dans l’ensemble de la population générale, les problèmes de santé le plus souvent représentés chez les personnes migrantes sont les conséquences de violences (souffrance psychique ou physique, traumatismes et blessures, grossesses non désirées, I.S.T).
L’accès aux soins étant souvent conditionné par le statut administratif de la personne dans le pays où elle se trouve, la plupart ne peut y avoir recours.

Plus de 75% des patients fréquentant nos centres MdM en Europe en 2013 disent avoir vécu au moins une expérience de violence : 20% d’entre elles ont été commises depuis l’arrivée dans le pays d’enquête (qui se trouve être le plus souvent pays de transit ou d’impasse). Au départ, pas plus de 2,3% des consultants ont migré pour des raisons de santé.

Turquie-web
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Turquie
© David Delaporte

Fort de ces constats, Médecins du monde revendique un droit universel à la santé quel que soit le statut administratif de la personne. L’accès aux soins doit répondre à un besoin médical et reposer sur des critères sanitaires. Dans un pays considéré, il doit être le même pour tous, selon l’offre de soins et les politiques publiques de santé du pays concerné.
MdM dénonce les violences commises à l’encontre des personnes migrantes et soutient le développement de programme de protection et d’accueil.Dans ce cadre, la protection des étrangers gravement malades reste un des axes prioritaires de notre plaidoyer.

C’est ainsi que nous assurons à Calais, en plus des consultations médicales et de l’amélioration des conditions de vie (abris, eau, sanitaires, sacs de couchage), l’accompagnement à l’ouverture des droits pour un accès à la santé ou à une demande d’asile et que nous soutenons l’ouverture de maisons d’accueil. Alors qu’à Mayotte nous luttons pour l’accès de tous les enfants à une couverture sanitaire quel que soit le statut administratif des parents, condition incontournable pour un accès aux soins gratuit.

À Alger comme à Istanbul, nous travaillons avec les professionnels de santé et accompagnons les patient(e)s vers les centres de soins, limitant ainsi les risques de violence et de dénonciation, pour rendre leur accès aux soins effectif et réel.

Au Mexique, alors que les droits de circulation et d’accès aux soins existent, les violences persistent. Nous travaillons auprès des professionnels (santé, police et justice) pour que ces droits soient effectifs et respectés, et que les violences envers les personnes migrantes cessent.

Calais-web
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Calais
© Sarah Alcalay

C’est dans ce contexte, entre utopie et réalisme, entre débat public et lutte sociale, et animé d’une profonde conviction humaniste, que Médecins du Monde s’inscrit dans la défense du respect des droits universels, en France et à l’international.

Médecins du Monde refuse l’aliénation des droits fondamentaux aux droits nationaux.

Médecins du Monde lutte contre toute politique répressive à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité et défend la protection de ces personnes.

Ariane Junca

¹ « Toujours plus de murs dans un monde sans frontières », Nicolas Lambert, 2013.

² Exemple: Criminalisation de l’émigration « clandestine » en Tunisie malgré le droit universel « de quitter tout pays y compris le sien… ».

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