Trouver la juste voie entre finalité et idéal …

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Bernard Granjon, Ariane Junca, Hubert Godon, Maria Melchior, Sophie Alary, Joseph Dato, jean Guérini, Patrick David, Fyras Mawazini, Christophe Adam, Brigitte Maitre, Reem Mansour, Betty Azocar, Philippe Gabrié, Robert Chaluleau

L’AG 2017 va-t-elle nous permettre de débattre ensemble de notre projet collectif ? Et tout d’abord, faut-il en débattre puisque pour les penseurs et penseuses du “tout va bien”, beaucoup parmi les autres qui ne s’y reconnaissent pas sont des aigris, des archaïques, des nostalgiques passéistes, des absents ou des tristes. Et rien de telle qu’une bonne fête rue Marcadet pour nous le rappeler…

Pour les plus optimistes, les comptes sont bons, les projets ne manquent pas, des programmes ferment d’autres ouvrent et MdM est présent au cœur des principales crises que vit notre monde. Les RH sont stabilisées, de nouvelles figures associatives émergent. La marque MdM est citée régulièrement dans les médias et les donateurs nous suivent. Donc, tout va bien ! Mais pouvons-nous simplement nous satisfaire de cette affirmation, assurée et rassurante ?

A l’origine de l’association il y avait une profonde intuition : l’engagement.

L’engagement de chacun et de tous autour de cette volonté d’être acteur de solidarité et de refuser l’injustice. Il y avait quelque chose de très intime dans tout ça, mélange à la fois d’un idéal de la fraternité, d’utopie d’un monde meilleur et du combat partagé. Chacun amenant une part de son histoire, de son temps, de son esprit, de son réseau, souvent même de son argent, pour ces combats collectifs qui ont forgé l’image et l’identité de MdM. Certes, à certains moments, cette militance comportait le risque de trop s’identifier à la cause, de se l’approprier, de s’en servir ou de s’y noyer…Mais en aucun cas cet engagement ne devait être réservé à une élite, à des professionnels, à des sachant de tous bords. Tout le monde était appelé à participer : le donateur, l’acteur de terrain, le partenaire, le spécialiste ou le profane. En donnant beaucoup de son temps, en venant au coup par coup, en partageant ses idées, ses liens, ses paroles ou ses actes. Chacun
participant à hauteur de ses capacités pour construire le projet commun autour de la colombe à la branche d’olivier sur fond bleu.

Dans notre monde globalisé et multipolaire, comment aujourd’hui vivre l’engagement dans le champ de l’action humanitaire où s’entrecroisent le marché des bailleurs et ses procédures de validation, la communication outrancière et le marketing ? L’action humanitaire citoyenne internationale a-t-elle alors encore un avenir ? Comment intégrer les nouvelles formes de participation, les réseaux citoyens dans notre modèle associatif historique ? Comment répondre à la demande de plus en plus forte de collaboration et de coopération au sein d’une association qui devient peu à peu une entreprise humanitaire ?

Le paquebot MdM résiste et continue à avancer et c’est tant mieux ! Mais pourquoi évolue-t-il en abandonnant peu à peu – et souvent inconsciemment – le champ de la citoyenneté universelle ?

Avons-nous vocation à ne devenir qu’un de ces corps intermédiaires reçus poliment dans les cabinets ministériels ? Notre parole est attendue si elle s’inscrit dans les processus encadrés et structurés de la participation, mais elle ne porte plus ou trop peu. De nombreuses voix dénoncent d’ailleurs l’omnipotence de ces intermédiaires qui parlent au nom des pauvres, des salariés, des paysans, des consommateurs… des jeunes, ces intermédiaires qui n’ont que faire du débat démocratique qu’ils appauvrissent, qu’ils freinent voire qu’ils bloquent sciemment. N’oublions pas que le changement social ne se réduit pas à une campagne de communication ni au nombre de reprises dans les médias. La croissance des dons et les prises de parole sur une tribune d’un forum international nous sont certes nécessaires mais en aucun cas suffisants. Nous sommes devenus, peu à peu des opérateurs d’opinion et de rapport, sans idéaux.

L’engagement humanitaire ne doit pas être restreint à un processus. Il doit trouver la juste voie entre finalité et idéal.

La capacité pour une organisation à gérer des programmes, à appliquer des procédures ou à atteindre des objectifs planifiés et à communiquer, ne peut pas être le seul projet de MdM. 
Ce débat est ancien : pragmatisme et efficacité face à utopie et intuition. Mais il reste indispensable car c’est grâce à lui que l’association a su faire des choix originaux et fondamentaux qui ont structuré son ADN. Quelques exemples :

  • Nous avons décidé de ne pas adosser systématiquement une croissance exponentielle à des appels à projet des bailleurs internationaux.
  • Nous avons su échapper au piège de devenir des gestionnaires d’établissement médico-social
    en France.
  • Notre volonté de nous appuyer sur les compétences bénévoles complémentaires à celles
    de professionnels salariés.
  • Nous avons voulu garder toute leur place aux causes médico-sociales chroniques malgré
    toute la pression médiatique et des donateurs pour réagir à l’urgence.

Au cours de ces dernières années, nous avons fait le choix de remettre sur le tapis les modalités de synthèse de nos paradoxes associatifs. L’AG 2015 nous a permis de voter un projet associatif mêlant harmonieusement à la fois militance, réalisme opérationnel et désir de construire ensemble un monde différent. La mise en oeuvre du plan stratégique et du plan d’actions nous ramène à une lecture plus opératoire, réduisant à sa portion congrue cette ambition collective.

Les changements du monde nous imposent de redevenir un lieu du possible, pour provoquer des rencontres et pour nous donner le pouvoir d’agir autour de cette idée que la santé est un facteur d’inclusion.

Les bouleversements politiques en France, le doute sur le projet européen et sur les moyens d’obtenir une régulation mondiale des enjeux écologiques, devraient nous mobiliser pour retrouver l’énergie inaugurale d’une action humanitaire au service de tous les humains sans succomber à l’illusion d’un utilitarisme parfois méprisant. Comme soignants nous avons appris des patients la complexité et la fragilité de la vie. Mais nous savons aussi qu’il ne faut pas se laisser sidérer par la vulnérabilité humaine. Les capacités d’un individu ou d’un groupe sont bien plus fortes que nos certitudes – mêmes les plus ancrées – dans des preuves qui n’ont souvent, qu’un temps…

Nous avons besoin de discuter, de débattre pour que MdM retrouve son intuition inaugurale et sa force de mobilisation. Sans acrimonie ni enjeux personnels mais tout simplement pour nous extraire de la satisfaction parfois narcissique de nous croire systématiquement dans le vrai mais en étant sûr que c’est dans la confrontation de nos divergences que nous trouverons un projet juste et cohérent pour notre association. Cette lettre n’a qu’une ambition : ouvrir le débat. Notre association doit être au cœur des mouvements du monde et des enjeux que posent le nécessaire renouveau de la participation démocratique.

Amicalement

Bernard Granjon
Ariane Junca
Hubert Godon
Maria Melchior
Sophie Alary
Joseph Dato
jean Guérini
Patrick David
Fyras Mawazini
Christophe Adam
Brigitte Maitre
Reem Mansour
Betty Azocar
Philippe Gabrié
Robert Chaluleau

 

5 Commentaires

  1. Merci à vous, chers compagnons de route pour ce texte d’ouverture au débat de l’AG 2017. Merci à vous d’utiliser La Boussole. Merci à La Boussole de tenir face aux tourmentes et d’être encore et toujours un espace libre de toute influence.

    Ce texte, sera t il incarné, pensé et travaillé au delà des clivages évoqués (salarié/ bénévole ; soigner pour témoigner/témoigner pour soigner), au delà des clivages obsolètes et auxquels certains nous invitent faute de prise en considération de leurs paroles dans les espaces ad hoc.

    Ce texte sera t il une invitation au “rhizome* dans le chaos “? Car tel est l’essentiel : trouver la forme pour résister parmi tant d’autres à la déconstruction du monde **. Dépasser le mal et le bien, la souffrance, le modèle biomédical, le processus et le plan. Dépasser MdM pour le partenaire et les sociétés civiles. Sortir par le haut face au débat universalisme/culturalisme. Et s’assurer de résister à la hiérarchie des races, des cultures, des religions, des normes, des cadres, du chiffre, des réalités ou des vérités.

    Résister en tant que rhizome. “Ni début, ni fin”…. A relire…*
    Résister à la “déconstruction”… A relire encore et toujours…**

    Lire, dire, vivre dans le respect de l’autre et pour une raison-maison commune. Tel est l’essentiel. Merci à vous chers compagnons de route.

    * Deleuze et Guattari – pensée archipélique
    ** Camus – discours à Stockholm

  2. Merci à ces “grandes voix” de prendre- ou re-prendre une fois de plus la parole.Beaucoup est dit dans ce texte ainsi que dans les commentaires que j’ai pu lire.
    Pour ma part je pense que le déficit de débat démocratique est criant tant au niveau vertical qu’au niveau des délégations.
    Il en résulte une atonie au niveau notamment des bénévoles qui finalement est bien pratique et donne le champ libre à la dérive techno-bureaucratique que nous subissons.
    EN toute cordialité…

    Jean-Maurice Salen
    ancien RM du Caso et ancien délégué régional Alsace

  3. Salut,
    vous avez mis les mots justes sur mon ressenti à 8000 km de distance, ici en Guyane. Paradoxalement, serait-ce le signe qu’il y a bien encore quelque chose de l’ordre d’un égrégore à MdM ?
    A très vite.

  4. Il est dit dans ce –beau- texte « Ce débat est ancien : pragmatisme et efficacité face à utopie et intuition » Certes, il est ancien, et connaissait un rythme assez cyclothymique. Mais il suffit de rappeler les interventions de quelques grands noms de cette maison lors de l’AG 2016, Bernard Granjon*, Michel Brugière**, Brigitte Maitre***… pour percevoir que cette période de turbulence est maintenant sérieusement installée. Il faudrait sans doute faire quelque chose dans un délai … raisonnable, les questions type « Quel horizon en 2025 ? » paraissant un peu décalées…

    *Bernard GRANJON « comment ne pas percevoir cette lente et inexorable extinction de notre vie associative »

    **Michel BRUGIERE « …ce sentiment d’être aujourd’hui devenus des faire-valoir de l’image que veut se donner MdM »

    ***Brigitte MAITRE « En fait, MDM va mal et “l’association fout le camp” dans une vrille effrénée et bientôt irréversible. »

    Juste deux exemples du ressenti d’un médecin bénévole :
    – Ce que j’avais noté après avoir visionné le point info qui se présentait comme un « temps d’échange avec le CA », du vendredi 23 septembre 2016 : On se lasse vite de cette enfilade de termes « maison » qui finissent quand même par lasser (« feuille de route », « 1°-2° ligne », « thématique (éventuellement transversale) », « problématique », « projet associatif », « plan stratégique ») On perçoit en filigrane ce « besoin d’être rassuré », qui est judicieusement indiqué par Ph de Botton (qui signale toutefois qu’ »on a vu pire »…); celui-ci suggère aussi de « valoriser les gens ». Françoise Sivignon rappelle l’ambiance de l’AG. Il est aussi reconnu un « turn over des directeurs », et que tout cela « déstabilise «

    
 – Un exemple qui n’est pas que sémantique de cette dérive un peu floue: La disparition du CASO parisien au « profit » d’un Centre d’Accueil, d’Orientation et d’Accompagnement… La notion de santé a donc disparu, et les termes de soins, de médecine, médecins, tout autant. Il a certes toujours été envisagé -me semble t il- de fermer les CASOS lorsque le droit commun pourrait s’y substituer (idem pour toute mission du reste, nous ne sommes pas des sous traitants, etc) Après tout, il est bien possible, dans Paris intra muros, qu’avec les PASS, dont l’efficacité actuelle est d’ailleurs due pour une bonne part au lobbying de MdM, ce stade de fermeture soit atteint. Mais ne sommes nous pas avec ce CAOA dans une demi mesure, et n’est il pas plus logique et courageux – et sans doute moins onéreux -d’abandonner ces “accueils” que d’autres associations non médicales assurent ?

    Quand, « jeune » retraité, j’ai adhéré à MdM en 1998, j’avais hésité, avec MSF notamment ; mais je voulais une association, médicale donc, qui ait des actions en France, qui ne me salarie pas, dont le bénévole était le pivot, aidé bien sûr de salariés bien plus compétents dans les branches –gestion, comptabilité, recherche de fonds, questions juridiques, communication, etc) que le corps de santé maîtrise mal…Notion plutôt antagoniste avec la phrase « Notre volonté de nous appuyer sur les compétences bénévoles complémentaires à celles
 de professionnels salariés » de cette lettre collective.
    Allons y donc pour le numéro « c’était mieux avant », mais la sensation que ça se délite demeure…

    (Tout ça, en plus, écrit depuis mon fauteuil… Un peu facile… mais ça donne du recul !)

    • Cher Philippe,
      merci pour ton commentaire! Je ne relèverais que la dernière chose que tu notes, le fait que nous nous posons tellement la question de la place des bénévoles, surtout dans des actions finalement de moins en moins médicales, qu’à ma connaissance, aucun des signataires de cette lettre ne s’est aperçu qu’on essayait de trouver un moyen pour valoriser la contribution des bénévoles aux actions menées par les salariés, de plus en plus nombreux en effectifs absolus et relatifs.. C’est dire!

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