Migrants africains bloqués dans la capitale libyenne
Photo AFP / Anadolu Agency
En février 2017, Cédric Herrou a été condamné à 3 000 euros d’amende avec sursis pour avoir aidé des migrants. A l’occasion d’une réunion citoyenne, Philippe de Botton, trésorier membre de notre conseil d’administration, réactualise et déconstruit le mythe et les représentations des migrations subsahariennes africaines à travers l’analyse du contexte géopolitique du continent.
En l’espace d’environ 10 ans, le contexte géopolitique africain s’est profondément modifié (crises aiguës, chronique, conflits majeurs…) : l’embrasement du Sahel (Mali et pays avoisinants), les révolutions arabes, la Libye, la guerre au sud-Soudan dans la prolongation du Darfour, la déliquescence de la Somalie, l’installation de Boko Haram au Nigéria, le conflit épouvantable et plus récent au Yémen, les crises oubliées en République centrafricaine (RCA), en République démocratique du Congo (RDC), au Burundi. Avec en toile de fond Ebola, les sécheresses, l’insécurité alimentaire…
Très longtemps faiblement peuplée, l’Afrique a connu depuis longtemps et souvent des mouvements humains et des mobilités de grande ampleur favorisés par les déplacements parfois massifs liés aux conflits, à la traite esclavagiste ou au travail forcé.
Fin 2014, un tiers des réfugiés sous mandat des Nations Unies étaient ressortissants d’un pays africain, soit 4,6 millions de personnes.
Parmi eux, les Somaliens représentaient 1,1 millions, et les Soudanais 665 000 personnes. Pour 9/10° d’entre eux, ils sont réfugiés dans les pays voisins. Les autres ont trouvé refuge dans les pays du nord (UK, USA, France, Canada, Belgique, Hollande, Suisse).
En 2015, près d’un tiers des 40,8 millions de personnes déplacées pour raisons de conflits et de violences se trouvaient en Afrique, soit un peu plus de 12 millions, faisant de l’Afrique sub-saharienne la première région du monde pour les déplacés internes. 5,7 millions d’entre eux sont Soudanais (Soudan et sud Soudan). Les autres pays sont le Nigéria pour 2 millions, la RDC pour 1,6 millions, la Côte d’Ivoire pour 700 000 personnes. Il s’agit du total des déplacés internes.
Migration économique, regroupement familial, migration forcée … les voyages coûtent cher.
Théoriquement, on distingue les migrations économiques liées à la recherche d’un travail, au regroupement familial et les migrations forcées liées aux conflits et violences et aux catastrophes naturelles, qu’elles soient aiguës ou chroniques (changement climatique). En réalité, ces deux causes s’entrecroisent. Elles sont étroitement et intimement liées. Cette distinction est purement théorique et ne recouvre pas la vraie réalité.
Pour migrer, il faut avoir des moyens ; les voyages coûtent cher. Les très pauvres ne migrent pas. C’est pour ces raisons que la part des migrants africains dans le total des migrations vers l’Europe est faible, alors que l’Afrique est la région du monde où le désir de migration est le plus fort.
Parmi les réfugiés et demandeurs d’asile africains qui arrivent aujourd’hui jusqu’en Europe, les érythréens, les soudanais, les nigérians, les ressortissants de la RDC et les somaliens forment le plus gros contingent.
Il faut aussi relativiser : parmi les dix principaux pays d’origine des primo-demandeurs d’asile en Europe en 2015, le premier pays africain est l’Érythrée, au 7° rang avec 3,1% des demandeurs (11000 en 2015) et pour le Nigéria (2.5% et 8500).
Les érythréens cherchent à quitter un pays dirigé par un tyran, Issayas Afework, une prison à ciel ouvert : dictature féroce, privation des libertés. La première destination a été Israël (religion copte et les falashas – juifs d’Ethiopie). Depuis 2012, Israël ne veut plus d’eux et les a refoulés dans le désert du Sinaï où ils subissent des violences de la part des bédouins. Ils ont donc changé de destination et migrent vers l’Europe.
Les soudanais quittent deux pays en guerre. Au Sud Soudan, une guerre civile sur fond de rente pétrolière a mis sur les routes des centaines de milliers de personnes. Par ailleurs, des contestations sur le tracé de la frontière entre le sud et le nord entretiennent un conflit entre les deux pays voisins. Au Soudan même, le conflit du Darfour pour lequel Omar el Bachir est mis en accusation au tribunal pénal international est toujours en cours. A cette situation conflictuelle s’ajoute des désordres climatiques tels que les sécheresses récurrentes qui touchent la corne de l’Afrique, et plus généralement la bande Sahélienne.
La Somalie, toujours en guerre civile entre un état fantôme et les shebabs, organisation terroriste, est aussi à l’origine d’un fort contingent de réfugiés, dont la plupart se trouvent au Kenya. D’autres, qui prenaient la route du Yémen pour rejoindre l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe, sont désormais détournés du fait de la guerre en cours dans la péninsule arabique.
Au Nigéria, ce sont les exactions de Boko Haram au nord-est et en retour des ripostes malencontreuses de l’armée nigériane, qui considère avec méfiance l’ensemble de la population locale, qui ont déplacé des centaines de milliers d’habitants.
Quelques idées reçues persistent…
On dit souvent que la migration subsaharienne est importante et principalement à destination des pays riches, c’est faux. L’ensemble de la migration d’Afrique subsaharienne représente à peine 9% des migrants de la planète. L’essentiel des migrations subsahariennes reste au sein même de la région.
Parmi les 113 millions de migrants présents dans les pays de l’OCDE, une tout petite fraction est originaire d’Afrique subsaharienne (5%).
Les migrations en provenance d’Afrique subsaharienne vont diminuer grâce à la croissance : ni à court terme ni à moyen terme. Le développement ne réduit ni automatiquement ni immédiatement les migrations.
Autre dogme faux : on a clairement montré que si les politiques des frontières des pays européens étaient moins restrictives et libéraient la circulation entre le Sud et le Nord, une majorité des migrants rentreraient dans leur pays d’origine. Or, depuis les années 1990, on mesure une corrélation entre la baisse des migrations de retour et la sécurisation des politiques migratoires au Nord, qui contribue à sédentariser les migrants en Europe. Ajoutons que les “retours forcés” organisés dans le cadre d’accords entre pays d’origine et de destination restent très minoritaires par rapport aux retours spontanés préparés par les migrants eux-mêmes.
Philippe de Botton