A MdM Lyon, je suis accompagnateur, bénévole depuis 6 ans. Lors des accompagnements, j’ai pu connaître les squats et bidonvilles et je remercie MdM Lyon de m’avoir aussi “accompagné” dans ces lieux de vie et de m’avoir donné quelques bonnes clés pour avancer un bout de chemin avec leurs habitants.
Depuis je m’y suis beaucoup investi, en particulier comme bénévole à C.L.A.S.S.E.S. (Collectif Lyonnais pour l’Accès à la Scolarisation et le Soutien des Enfants des Squats – Blog : classes069.blogspot.fr) pour accompagner les familles dans les démarches scolaires.
Dans ce cadre, je suis en contact avec de nombreuses familles et témoin de ce qu’elles vivent.
J’ai souhaité partager ici mon témoignage sur la mise à la rue de familles.
Jeudi 20/10/16, Expulsion à Lyon
Des familles avec Maria (2010) et Denisa (2012), scolarisées depuis septembre 2016, jetées à la rue.
A Lyon au fond d’une allée de la rue de Gerland Lyon 7°, depuis août 2015, plusieurs familles ont « survécu ».
Certes les conditions de vie étaient indignes, mais les familles étaient à peu près à l’abri de la pluie et du froid.
Avec les risques d’expulsions, certaines familles étaient déjà parties et, peu de jours avant le 20/10/16, la famille de Maria et Denisa (noms d’emprunt) toutes deux assidues en maternelles, s’y trouvait encore, une autre famille avec deux adolescents (2001 et 2003), dont les démarches de scolarisation allaient reprendre, et quelques adultes seuls.
Jeudi matin 20/10, en période de vacances scolaires, une des familles m’appelle pour me dire que la police est là et qu’ils sont expulsés… Quand j’ai pu me rendre sur place en fin de matinée: plus personne. J’appelle les familles : pas de réponse.
Par une de leurs amies, j’apprends qu’elles cherchent un lieu où s’abriter car elles ont été effectivement « jetées à la rue ».
Récit en image
Voici où survivaient ces familles : un lieu de vie indigne, mais avec un minimum d’abri :
Quand j’arrive en fin de matinée, tristesse et indignation m’envahissent : l’argent pour un bulldozer, une benne, du personnel… ne manque pas pour jeter le peu d’affaires personnelles de ces familles :
Ce 20/10/16, le bulldozer va chercher les biens personnels pour … les jeter dans une benne
Le 26/10/16, en fin de journée, enfin je retrouve les familles sous des tentes, trempées par la pluie des deux jours précédents :
Dans la tente derrière l’arbre, celle de Maria (6 ans), et de Denisa (4 ans).
A la fin de ces vacances scolaires le 3 novembre, pourront-elles reprendre l’école après un tel traitement indigne de la France et contraire aux Droits de l’Homme ?
Ce soir du 26/10, j’ai appelé le 115 (hébergement d’urgence, plutôt dit « d’urgence ») :« pas de place ».
Je demande aussi au 115 que le SAMU social apporte des couvertures : « il faut rappeler demain », ce que je fais donc effectivement le 27/10.
Et pourtant, en lien avec cette circulaire, sur gouvernement.fr/missions-de-la-dihal, on peut lire : « le Premier ministre a confié au DIHAL (Délégué Interministériel pour l’Hébergement et l’Accès au Logement) une mission en matière d’anticipation et d’accompagnement des évacuations de campements illicites conformément à la circulaire interministérielle du 26 août 2012… Le DIHAL pilote des instances de concertation… et anime un réseau de correspondants départementaux désignés par les préfets. » Certes, une décision de justice autorisait une expulsion à partir de septembre 2016, mais la circulaire Interministérielle du 26/08/12 (voir : legifrance.gouv.fr/pdf/2012/08/cir_35737.pdf) « relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites » adressée aux Préfets précise en haut de la page 2 déclare : « Il vous incombe donc, en initiant le travail le plus en amont de la décision de justice qu’il est possible, de proposer des solutions d’accompagnement en mobilisant prioritairement les moyens de droit commun de chacun des partenaires. Cela suppose, dans une logique d’anticipation et d’individualisation, l’établissement, chaque fois que possible, d’un diagnostic et la recherche de solutions d’accompagnement, dans les différents domaines concourant à l’insertion des personnes (scolarisation, santé, emploi, logement/mise à l’abri…) ».
Les familles m’ont dit n’avoir jamais été contactées pour cela, et les deux enfants ont été scolarisées grâce à l’accompagnement réalisé par l’association C.L.A.S.S.E.S. (Blog : classes069.blogspot.fr). La famille de Maria et Denisa était allée à la Maison de la Veille Sociale (en lien avec le 115) dès mars 2016 pour préciser sa situation d’extrême précarité.
La France a signé la CIDE (Convention Internationale des Droits de l’Enfant) où l’on peut lire : article 27-3 «Les États parties adoptent les mesures appropriées, compte tenu des conditions nationales et dans la mesure de leurs moyens, pour aider les parents et autres personnes ayant la charge de l’enfant à mettre en œuvre ce droit et offrent, en cas de besoin, une assistance matérielle et des programmes d’appui, notamment en ce qui concerne l’alimentation, le vêtement et le logement». La Ministre Marisol Touraine, lors de la signature par la France du 3ème protocole facultatif de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE), précise dans son communiqué de presse : « Marisol Touraine et Laurence Rossignol témoignent ainsi de leur volonté de rendre pleinement effectifs les droits des enfants, tels qu’ils sont garantis par les textes internationaux. Cette signature rappelle l’engagement ferme du gouvernement en faveur d’un renforcement de la protection de l’enfance».
(voir : social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/CP_Protection_de_l_enfance_docx.pdf)
Dans ce contexte, des questions se posent. Comment dans un pays qui se dit « pays des droits de l’homme » des responsables peuvent-ils donner de tels ordres : jeter à la rue des familles tout en jetant à la benne, sans tarder et sous leurs yeux, le peu de biens qu’elles avaient. Quels anticipation, diagnostic, recherche de solution, accompagnement de l’évacuation ont-ils été réalisés ?Où est l’engagement ferme du gouvernement en faveur d’un renforcement de la protection de l’enfance? Comment les familles vont-elles pouvoir survivre au froid et dans l’humidité ? Comment Maria et Denisa vont-elles réussir à poursuivre leur scolarisation en maternelle ? Comment les deux adolescents vont-ils pouvoir continuer leurs démarches pour aller au collège ?
Complément au 16/11/16 :
Malgré les appels au 115, le passage à la Maison de la Veille Sociale en charge des hébergements d’urgence, diverses démarches auprès des assistantes sociales des Maisons du Rhône, aujourd’hui le 16/11/16, les familles sont toujours “à la rue”.
Alors à Lyon, où sont ces places promises ? (ou Monsieur le Préfet, qu’attendez-vous ? Il y a urgence)
En lien, un deuxième article sur les expulsions du 9 novembre 2016
Henri Branciard