Carmen Pegueros Lara , présidente de Femmes Migrantes Mexicaines association civile qui lutte contre la violence dans le Chiapas, a été invitée à la table ronde Ensemble avec les travailleuses/eurs du sexe pendant les Journées des Missions 2016. C’était la première fois qu’elle venait en France.
Quelles sont tes impressions de la ville et de ton voyage?
Paris est une ville très grande, plusieurs points m’ont surprise. Tout d’abord, les gens conduisent bien et la circulation dans les rues est fluide, c’est agréable. Par rapport à la police, la situation n’a rien à voir avec chez nous, au Mexique. Les gens semblent en paix. Du peu que j’ai vu en me promenant de l’hôtel au siège, la ville me semble plaisante à vivre, il y a des endroits où faire du sport, et j’ai croisé des personnes du monde entier.
Aux JdM … tout le monde a été si aimable, quel groupe! une vraie équipe … une grande famille. J’ai ressenti la même chose la première fois que je suis entrée dans les bureaux de MdM à Tapachula, un sentiment d’union. Je n’ai vraiment pas envie de repartir!
Quels sont les points qui t’ont marquée durant les ateliers et les forums ?
Lors de la table ronde, j’ai pris conscience qu’il y avait beaucoup de points communs entre notre association et celle des autres femmes avec qui vous travaillez partout dans le monde. J’ai beaucoup de respect pour toutes ces femmes qui sont venues témoigner comme moi : les Chinoises de l’association Roses d’acier, la femme roumaine de l’association Carrousel … les travailleuses du sexe souffrent partout. J’ai réalisé qu’au Mexique nous ne sommes pas aussi méprisées et rejetées que ces filles dans leurs pays respectifs.
J’ai été très frappée par l’intervention du coordinateur de votre programme à Kinshasa. Là bas, les filles de 12 ans ont des enfants qu’elles doivent parfois abandonner. Moi qui pensait que nous vivions le pire au Mexique! C’est déjà épouvantable que des filles de 13 ou 14 ans soient mères, sans avoir la possibilité de vivre leur adolescence…
De tout ce qui a été dit je retiens que nulle part dans le monde les autorités ne nous soutiennent. Nous luttons toutes à notre manière, en allant frapper aux portes, parce que personne ne nous écoute. De notre côté par exemple, nous avions obtenu un rendez-vous avec le responsable sanitaire de Tapachula qu’il a annulé au dernier moment. Nous savons que nous le verrons jamais.
Comment vas-tu traduire cette expérience à Tapachula?
J’ai beaucoup appris en très peu de temps, je suis très impressionnée. Cela va nous encourager. Nous ne nous laisserons pas abattre, nous irons frapper à beaucoup de portes, nous continuerons à aller voir nos collègues, nous continuerons à lutter tous les jours parce que même si c’est dur et jamais simple, il ne faut pas baisser les bras, comme on est parfois tentées quand tout est trop décourageant. J’aurais aimé que mes collègues soient là pour écouter. Au Mexique, nous sommes presque des reines, comme au paradis, nous ne souffrons pas autant qu’en Afrique. Notre association doit prendre conscience de bien des choses, être plus patientes, et faire avancer nos projets.
Je parle en tant que présidente de l’association mais aussi au nom des collègues qui travaillent dans le rue ou dans les établissements. Lorsque j’écoute les témoignages des Roses d’Acier ou de Carrousel, je comprends ce qu’elles ont souffert. Si je compare avec le Mexique avec les filles en Roumanie ou les Roses d’Acier, notre situation est moins tragique. Notre problème principal tourne autour de la corruption, du racket médical autour de la carte de santé obligatoire …
De notre côté, nous avons été choquées par certaines situations que nous avons vues sur place (notamment par rapport au comportement de certains proxénètes). Ne serait-ce pas l’habitude qui te ferait moins percevoir la violence au Mexique?
C’est vrai … je pensais à qui travaillent librement, dans la 6ème rue par exemple. Elles sont indépendantes, nous pouvons discuter avec elles, les sensibiliser à l’importance de la santé, leur distribuer des préservatifs. Nous les invitons même au centre de formation des promotrices de santé. Elles ont deux types d’horaires, certaines arrivent à 10h et les autres arrivent à 14/15h .
Dans le quartier de la 12e rue c’est différent. Les proxénètes surveillent “leurs” femmes, certains les empêchent de venir nous parler. Il y a beaucoup de drogues, de boissons de bagarres, c’est très violent.
Avez-vous comme projet de vous rapprocher davantage des femmes de la 12ème rue?
Nous avons un souci avec le secrétaire de santé qui souhaite les déplacer. Nous sommes allées parler avec lui, pour demander ce qu’il comptait proposer en échange. Nous voulions aller voir ces femmes pour leur expliquer que leurs conditions de travail s’amélioreraient, et que plus personne ne les dérangerait. Mais quelles garanties leur donner? Il n’a pas prévu de lieu spécifique mais elles bénéficieraient d’une consultation sanitaire gratuite. Au Mexique, nous payons 470 pesos (22€) pour la carte de santé et 800 pesos (38€) la consultation et les analyses. Les analyses, obligatoires, sont passées à une fréquence de tous les deux mois au lieu de trois et la consultation toutes les semaines au lieu de 15 jours. Il a refusé de nous recevoir sans être accompagnées de Brenda, la coordinatrice MdM. Elle va venir avec nous. .
As-tu conscience du fait que ta présence et ton témoignage nous ont beaucoup apporté?
Je fais partie des femmes qui ont vécu toutes ces formes de violences. Le vivre, en souffrir, se demander que faire, ne plus vouloir se rendre au travail par peur d’être battue ou pillée, je sais ce que c’est. Il y a une différence entre récolter des témoignages des collègues pour en faire des histoires, et le vivre réellement. Je suis heureuse que les gens aient apprécié ce que j’ai dit parce que c’était sincère, je ne voulais pas mentir.
Merci à vous pour l’invitation.
Extrait de l’interview audio :
https://laboussole.medecinsdumonde.org/wp-content/uploads/2016/10/InterviewCarmen.mp3
Témoignage de Carmen Pegueros Lara lors de la soirée débat Amérique Latine et Caraïbes
(22’35)
Propos recueillis par Betty Azocar, co-responsable de mission et Alice Lebel, chef de projet communication