L’histoire jugera ceux qui ont abandonné le peuple syrien à ses bourreaux

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Photo Reuters / Hosam Katan

Paru sur LE MONDE.FR

« Notre vie n’a plus aucune importance, mais nos enfants ? Nous ne pouvons pas leur laisser un tel chaos » dit en septembre 2016 un Alépin. Les Alépins se meurent dans l’horreur pendant que vous, les grands de ce monde, continuez dans une insoutenable irresponsabilité à passer votre chemin, illusionnés par une gestion russo-américaine du dossier syrien qui se délite tous les jours un peu plus. À l’image de la nouvelle trêve rapidement mise à mal, notamment par une bavure de la coalition qui, pensant viser l’organisation État islamique a tué des dizaines de soldats syriens et par le bombardement d’un convoi humanitaire se rendant à Alep.

Pas un jour ne passe sans que des millions de Syriens n’appellent désespérément à l’aide. Avons-nous un jour répondu à la hauteur du drame qu’ils vivent ? Comment comprendre notre incapacité à aider ces civils, victimes des calculs les plus abjects d’un régime qui utilise l’excuse d’un « complot terroriste » pour martyriser son peuple en toute impunité. Que dire du fatalisme stérile des décideurs face au bras de fer entre la Russie et les États Unis ? Que faut-il penser de leur silence, soupçon d’un arrangement complice avec les russes pour qu’ils terminent le sale boulot.

Depuis cinq ans, la Syrie s’enfonce dans le chaos dont nous sommes tous témoins. Dans une indifférence coupable, l’Europe et les Nations Unies sont restées insensibles aux souffrances de ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont risqué leur vie en traversant la mer et en marchant à travers le vieux continent. Elles se sont illustrées par leur incapacité à proposer une solution humaine pour des raisons de Realpolitik cynique. Il n’y a plus de doute, nous avons été incapables de répondre à la détresse des Syriens. 300 000 morts, des millions de blessés aux séquelles graves, plus de 7 millions de déplacés internes qui vivent dans des conditions inhumaines et plus de 6 millions de Syriens, obligés de fuir pour tenter de se réfugier auprès d’autres peuples où les politiques les utilisent comme des faire-valoir des populismes décomplexés. N’est-ce pas assez ?

Une faillite

Ne le disons pas autrement, la communauté Internationale a failli lamentablement et cette guerre questionne clairement sa capacité à trouver des solutions dans des circonstances où les compétences devraient être à la hauteur de la complexité des enjeux. Pas une négociation à Genève n’a abouti, pas une initiative de paix n’a été suivie, pas un cessez-le-feu n’a été respecté dans les règles. Les membres de cette communauté ne respectent plus ces règles en fermant les yeux sur les multiples violations du droit international humanitaire et sur le non-respect des conventions qu’ils ont ratifiées.

Alep, cinq fois millénaire, berceau des multiples civilisations qui l’ont célébrée, est aujourd’hui le symbole d’un peuple de 22 millions d’individus froidement abandonnés où qu’ils soient à vivre l’enfer. Les Alépins sont tous pris au piège et à la merci des pires exactions. Tous les belligérants sont aujourd’hui responsables de crimes de guerre, et pour certains de crimes contre l’humanité : le régime syrien et ses alliés russes, dont la cruauté n’est plus à démontrer, les forces kurdes qui ont participé au siège d’Alep, les groupes rebelles plus ou moins respectables et dont la pseudo-alliance qui n’est que de circonstance les pousse dans le piège djihadiste. Aucun ne se préoccupe du sort d’Alep et de ses habitants.

Dans ce drame alépin les Nations Unies n’ont – une fois de plus – pas réussi à coordonner une aide humanitaire digne de ce nom. Sur place des humanitaires syriens qui aident les leurs sont en permanence les victimes des stratégies militaires des belligérants. Au péril de leur vie, ils prennent des risques pour secourir les civils en danger. Jamais ils n’ont été autant la cible d’attaques délibérées.

On ne compte plus le nombre d’hôpitaux détruits volontairement par les bombardements des forces russes et du régime syrien. Il ne reste presque plus de soignants pour les faire fonctionner. Il faut inlassablement réinventer dans la clandestinité pour continuer à soigner les victimes. Les médecins doivent sans cesse faire le choix dramatique de soigner ceux qui ont plus de chance de survivre que d’autres. Si le massacre ne cesse pas, les derniers médecins emporteront dans leur tombe les milliers de victimes qu’ils n’auront pas pu soigner.

L’heure n’est plus aux intentions. Agissez, vous qui vous réunissez sur la Syrie à l’Assemblée Générale des Nations Unies, puis aux énièmes négociations de Genève, pour que cessent les hostilitésSinon, l’histoire vous rattrapera et vous jugera car votre abandon a motivé les bourreaux du peuple syrien. Si vos émotions ne vous animent plus, soyez au moins à la hauteur de l’histoire. Redonnez à la diplomatie son sens de la délibération. Le drame syrien vous oblige à innover. Les Syriens savent que vous pouvez choisir une solution digne. Mettez fin à cette ubuesque diplomatie de salon. Il est temps d’accepter que la seule victoire soit celle de votre indignation, de votre refus de laisser se perpétrer davantage cette tragédie, de votre courage pour une solution loin des intérêts de chacun mais dans le seul intérêt des Syriens. La diplomatie doit aussi se nourrir auprès de ceux qui, tels les humanitaires, ont une connaissance de la réalité de la société syrienne et des autres forces motrices qui feront le futur de la Syrie. Celles et ceux qui ne portent pas les armes et qui sont loin de ce « marché de la violence ».

Cet été 2016 restera celui de l’accélération frénétique des bombardements d’Alep, celui où notre indignation collective n’a pas suffisamment alerté les dirigeants de ce monde. N’entendez-vous pas le cri des Alépins ? Leur souffrance n’est-elle pas assez forte pour vous rappeler à votre devoir ? Combien de morts faut-il encore pour peser sur vos esprits ?

Gérard Pascal, chirurgien humanitaire ; Fyras Mawazini, humanitaire ; Philippe Droz Vincent, Professeur de Sciences politiques à l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble

 

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