Qui sont les étrangers malades que nous recevons ?

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Sur l’année 2015, la délégation Pays-de-la-Loire de Médecins du Monde a reçu 105 migrants souhaitant obtenir un titre de séjour étranger malade pour essayer de sortir de leur situation administrative précaire, notamment après avoir été déboutés de leur demande d’asile. Nous avons reçu chacun d’eux en moyenne 2 à 3 fois.

Il s’agit de 68 hommes et de 37 femmes qui ont pour la grande majorité entre 20 et 40 ans, et sont pour la moitié en France depuis moins de 2 ans. Les 2/3 viennent d’Afrique subsaharienne et 1/4 du Maghreb, les pays les plus représentés par ordre d’importance étant la Guinée, l’Algérie, le Nigeria, la RDC, le Sénégal.

Depuis leur arrivée en France leur situation est très précaire, sans logement pour les 2/3, vivant soit à la rue avec appels au 115 ou en squat surchargé, soit chez des compatriotes ou dans leur famille pour quelques semaines avant de se retrouver à la rue. Sans ressources, ils n’ont pas accès au travail, étant « sans papiers ». Aussi beaucoup contactent diverses associations pour demander de l’aide matérielle ou administrative, à laquelle elles sont trop souvent dans l’impossibilité d’apporter des solutions, même lorsqu’il s’agit de l’accès aux droits humains les plus élémentaires tel que le logement.

Un peu plus de la moitié ont fait une demande d’asile et ont été déboutés, alors que la plupart dit avoir subi des violences dans leur pays d’origine mais n’ont pu obtenir un certificat de leur tortionnaire !!! Aussi, dans l’intention d’appuyer leur demande, certains acteurs conseillent de dramatiser les récits de vie, les rendant moins crédibles auprès de l’OFPRA. Beaucoup nous disent ressentir cette injustice de non-reconnaissance dans le « pays des droits de l’homme ». Il y a une autre petite moitié qui n’a pas fait de demande d’asile, sachant les chances quasiment nulles d’obtenir le statut de réfugié en France, ils ont préféré rester dans l’anonymat et ne pas se faire connaître des services de l’Etat.

Tous nous disent que « rien ne va dans leur pays », soit pour des raisons politiques ou culturelles, soit pour les difficultés d’accès aux soins qui n’existent pas ou sont trop chères chez eux. Une petite moitié (47 d’entre eux) nous disent qu’ils ont du fuir leur pays à la suite de violences qui malgré tout n’ont pas été reconnues par l’OFPRA. Pourtant plus des 2/3 sont suivis ici à Nantes par les services de psychiatrie pour leur stress psychotraumatique consécutif à ces violences :

– Pour 19 personnes, ce sont les violences de la répression policière du régime comme opposants politiques avec emprisonnement et quelquefois torture.

– Pour 19 personnes, des violences familiales ou sexuelles : héritage traditionnel, mariage forcé, excision, viol.

– Pour 9 personnes des violences ethniques, religieuses, ou d’orientation sexuelle : l’homosexualité est réprimée par la prison ou la peine capitale dans beaucoup de pays du Sud.

Dans ce contexte, il est normal que le psychotraumatisme soit la première pathologie invoquée par près d’un tiers des demandeurs de titre de séjour pour soins. Viennent ensuite les hépatites B et C, le diabète et le VIH. Quelques-uns ont une pathologie bénigne et tentent leur chance au risque d’un avis défavorable du médecin de l’ARS et d’un refus de la préfecture assorti d’une obligation à quitter le territoire français.

Les refus de délivrance d’un titre de séjour pour soins par la préfecture sont de plus en plus fréquents et presque systématiques malgré un avis favorable du médecin de l’ARS après étude du dossier médical, concernant notamment des hépatites, des VIH et des psycho-traumatismes. Ces refus obligent à entamer un recours juridique avec la Cimade auprès du tribunal administratif, où des pressions sont faites par les juges et la préfecture pour connaître la pathologie de l’intéressé, et démontrer que le traitement est possible dans le pays d’origine. Pour notre part, nous restons vigilants sur le respect du secret médical, mais nous essayons d’apporter notre aide aux avocats qui nous sollicitent, en attestant des difficultés d’accès aux soins et des défaillances du système de santé des pays concernés.

Les démarches administratives sont de plus en plus complexes pour ces étrangers qui ne maîtrisent pas toujours le français, avec une demande de toujours plus de documents et authentification des pièces avec suspicion systématique de fraude. Ces procédures prolongent les délais d’instruction des dossiers qui demandent entre 4 à 8 mois avant d’avoir une réponse de la préfecture. Par ailleurs nous sommes inquiets du transfert de l’avis du médecin de l’ARS dépendant du ministère de la santé, vers celui des médecins de l’OFII dépendant du ministère de l’intérieur qui sera le seul avec le préfet à décider de la délivrance ou du refus d’un titre de séjour étranger malade. Ce serait une condamnation à mort que de renvoyer dans leur pays d’origine des personnes atteintes de VIH et d’hépatite C, ou de psychotraumatisme avec risque de décompensation suicidaire.

Philippe Jarrousse
Philippe Jarrousse
Philippe Jarrousse

 

Philippe Jarrousse, bénévole à MdM

Paru dans le Fil Info de la délégation Pays-de-la-Loire

 

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