Max Plantavid, médecin retraité et bénévole au CASO de Toulouse, a participé à la mission dans le camp de réfugiés de Calais, du 28 août au 13 septembre 2015.
Plusieurs raisons m’ont poussé à apporter mon soutien sur ce projet durant deux semaines. Tout d’abord, le désir d’observer sur le terrain le phénomène migratoire, problème géopolitique qui va bouleverser la scène politique internationale pour de nombreuses années. Il va impacter les rapports Nord Sud, avoir des conséquences nationales par l’utilisation qu’en font les partis et les idéologues xénophobes et cristalliser les oppositions au sein de la société française. Il était, par ailleurs, intéressant de toucher du doigt cette réalité, d’écouter et d’essayer de comprendre la souffrance de ces personnes hors des présentations médiatiques exacerbant l’aspect dramatique et émotionnel à la limite de l’indécence. Je souhaitais, enfin, rencontrer les bénévoles actuels de MDM et échanger avec eux sur leurs motivations pour cette thématique. Bien sûr, quinze jours ne sont pas suffisants pour analyser une situation si complexe mais ils permettent d’en ressentir l’ambiance et d’en évaluer la pertinence.
Le jour de l’arrivée, un entretien avec les responsables de la mission m’informe de l’organisation médicale et des procédures de sécurité. La semaine précédente une altercation inter communautaire, ayant fait craindre une explosion de violence pouvant mettre en danger le personnel de la clinique, avait entraîné une évacuation en urgence du site. Il est certain que la promiscuité, la cohabitation des différentes nationalités et cultures et les conditions de vie difficiles sont des éléments de tension permanente et explosive.
L’arrivée dans le camp le lendemain est saisissante. Des chemins de terre approximatifs, jonchés de détritus et déchets, bordés par une multitude d’abris de fortune (quelques piquets de bois sur lesquels sont disposées couvertures et bâches plastique), partout l’odeur de la misère, quelques points d’eau disséminés dans un camp de 40 hectares, des sanitaires d’une saleté indescriptible et d’une odeur pestilentielle, 4 à 5 000 personnes vivent là, dans des conditions sanitaires épouvantables. Un camp de réfugiés, comme l’on peut en voir beaucoup, ailleurs dans le monde, mais celui-ci est en France à deux minutes de Calais : une honte ! Une partie de la population de la ville, très touchée, comme l’ensemble de la région, par la crise économique, manifeste ouvertement son refus et son rejet des étrangers. L’ambulance et l’équipe de MDM ont été copieusement huées et sifflées au passage d’une manifestation du Front National. De leur côté, les migrants, qui tentaient auparavant de passer individuellement, se regroupent maintenant pour tenter des passages en force dans le tunnel ou sur l’autoroute. Cette radicalisation grandissante est inquiétante.
Une multitude de migrants, chassée de la ville, vit là, dans une zone insalubre et inondable, se reposant dans la journée, pour repartir le soir venu et tenter une nouvelle fois un passage vers l’Angleterre. Ceux-ci sont majoritairement des hommes jeunes, soudanais, érythréens, irakiens, syriens, afghans, quelques femmes, de rares enfants. Quelques familles, femmes et enfants, sont hébergés dans un centre social à proximité du camp qui dispose d’une centaine de places d’hébergement et qui est aussi un accueil de jour pour quelques centaines de migrants.
Dès le premier contact, on est frappé par le contraste entre ces conditions d’existence indignes et choquantes et la présentation de ces hommes, respectueux, courageux, d’une grande dignité, quelques fois empreinte de noblesse, cultivés (une majorité d’entre eux parle anglais), certains sont étudiants, professeurs, avocats, tous sont profondément choqués du manque de respect manifesté à leur égard, de la brutalité des forces de police, de l’animosité que leur manifeste parfois la population ou le personnel des institutions et des conditions d’existence qui leur sont imposées.
Beaucoup portent sur eux les stigmates de violences subies dans leur pays d’origine mais aussi celles portées par les forces de police et les camionneurs qui les expulsent violemment de leurs camions et les brutalisent. Certains sont épuisés, physiquement et psychologiquement, après un voyage long et périlleux et les longues nuits de courses derrière les trains ou les camions, poursuivis par les forces de police. Ils se présentent à la consultation avec des plaies aux mains, quelques fois impressionnantes, provoquées par l’escalade des barbelés aiguisés et tranchants, des fractures et entorses lors de chutes des trains et des camions, des hématomes et contusions après avoir été roués de coups mais leur détermination est constante et impressionnante. Peu nombreux sont ceux qui renoncent devant la difficulté croissante et la dangerosité des essais de passage et tentent une bien hasardeuse demande d’asile en France.
La clinique de MDM, à laquelle une équipe de MSF apporte son soutien, est composée de tentes pour l’accueil, l’évaluation et l’attente des patients, pour le travail des psychologues (entretien, repos, art thérapie), pour les soins de kinésithérapie, et d’abris de jardin où sont effectués les soins infirmiers et les consultations médicales. Les conditions de travail sont évidemment rudimentaires. Sans eau ni électricité avec un matériel minimum, la consultation ne traite que de la bobologie et a surtout une activité d’orientation vers la structure hospitalière et la PASS. Les pathologies rencontrées, excepté les problèmes traumatologiques, sont essentiellement ORL et pulmonaires : rhino-pharyngites, bronchites (les nuits sous les abris précaires sont froides et humides) et des pathologies dermatologiques en rapport avec des conditions d’hygiène très défavorables, avec un nombre considérable de gales et d’infections cutanées. Les courses nocturnes incessantes occasionnent des pathologies musculaires et tendineuses invalidantes mais surtout très pénalisantes car ne permettant plus les tentatives de passage pendant plusieurs jours. 50 à 60 consultations médicales par deux médecins, 30 soins infirmiers, une activité importante de soins de kinésithérapie et de travail de psychothérapie qui font l’originalité et la spécificité de la mission. L’activité ininterrompue de consultation dans la journée ne m’a, malheureusement, pas permis d’observer ces intéressantes prises en charge.
La situation sanitaire s’aggrave de jour en jour. Les pouvoir publics, ne souhaitant pas une installation durable des migrants dans ce lieu, ne font rien pour améliorer les choses et font courir un risque sanitaire important à ces populations : l’observation d’un nombre croissant de diarrhées fébriles est peut être un signe avant-coureur d’épidémies à venir. Les conditions climatiques, clémentes jusqu’à maintenant mais qui vont se dégrader avec l’hiver, associées à un nombre croissant de migrants, font craindre une aggravation de la situation. Une équipe de MSF avait, néanmoins, récemment, nettoyé le camp et installait ces derniers jours des toilettes sur l’ensemble du site.
Lors de mon passage, l’équipe bénévole de MDM était constituée d’un médecin, d’une infirmière (une partie de l’activité médicale et les soins de kinésithérapie étaient faits par l’équipe de MSF), de deux psychologues, d’un anthropologue, d’un logisticien et de médiateurs chargés de faire le lien entre les migrants, l’équipe de soins et les institutions (hôpital, PASS, planning familial, etc). Cette activité est essentielle au fonctionnement tant l’orientation vers ces structures est fréquente. Ceci va, à terme, poser un problème : le nombre de patients transférés augmentant avec la population du camp, les structures d’accueil risquent d’être rapidement débordées comme ce fut le cas les derniers jours, la PASS ne recevant plus de malade. Par ailleurs les conditions budgétaires difficiles des hôpitaux actuellement ne les incitent pas à faire les investissements nécessaires pour faire face à cette situation, en particulier dans les PASS. La fréquence élevée de transferts vers l’hôpital est en partie due à la faiblesse des moyens des équipes médicales. Est-elle due à des difficultés de financement, de recrutement ou correspond-t-elle à un choix de l’association de se dégager progressivement de l’activité de soin pour se concentrer sur la défense des droits, la dénonciation de l’atteinte à ces droits, argumentée par un recueil de données qui devient la tâche prioritaire des bénévoles ? Ce choix peut être parfaitement entendable et compréhensible à la condition d’être énoncé clairement et assumé. A en juger par le peu de moyens des équipes médicales dont témoignent le manque fréquent de médicaments courants sur la clinique, l’impossibilité de réaliser des gestes élémentaires de médecine de terrain (petites sutures, vaccinations), l’absence d’une couverture médicale minimum sur le site du vendredi 17h au lundi 10h, l’absence totale de contact des médecins bénévoles avec la coordination médicale de la mission, ainsi qu’avec les référents hospitaliers vers lesquels ils orientent une majorité de patients, la question de l’objectif prioritaire de la mission mérite d’être posée. Est-ce qu’une telle orientation est conforme aux souhaits des donateurs, des bailleurs, des adhérents ?
Les bénévoles rencontrés sur la mission sont, pour la majorité, des gens jeunes, dévoués, compétents, souvent diplômés dont l’enthousiasme est intact ; la volonté de dénoncer l’injustice dont est victime la population qu’ils côtoient quotidiennement est permanente, l’empathie avec les migrants remarquable ; ils sont la principale richesse de l’association qui ne dispose pas des capacités financières et logistiques d’autres ONG plus importantes. MDM doit se donner les moyens d’utiliser pleinement leurs qualités et ne pas laisser s’installer une frustration que l’on perçoit chez certains, quand ils jugent que leurs compétences sont sous utilisées. Ils doivent bénéficier d’une autonomie et d’une liberté de prise d’initiative tant leur connaissance du terrain et des populations est indispensable, faute de quoi, après une première expérience décevante, ils se détourneront de l’action humanitaire.
Néanmoins, éloigné depuis des années des missions de MDM, j’ai senti, au sein de l’équipe de bénévoles, une ferveur et un enthousiasme réjouissant mais aussi une maturité dans l’analyse des situations qui doit rester la spécificité de l’association.
Pour plus d’informations n’hésitez pas à consulter la page suivante:
http://www.medecinsdumonde.org/actualites/2016/02/03/soigner-les-migrants
Dr Max Plantavid, paru dans Lettre et débats de la délégation Midi-Pyrénées, décembre 2015
Merci à : Olivia, Léo, Martin, Géraldine, Solène, Charlène, Claire, Rémy, Diane, Alexandra1, Alexandra2, Amandine, Victoria, Oliver, Nawel, Eléna