« Ça, c’est notre vie ! » Aiying, présidente des Roses d’acier

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(c) Folamour – Vito Films

La Marcheuse, premier long métrage du réalisateur Naël Marandin, est une fiction inspirée de la vie des travailleuses du sexe chinoises à Paris.

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Nombreux sont les articles qui traitent de la vie de ces femmes. Leur parution est souvent liée à l’actualité politique : pénalisation des clients, répressions policières, campagne de lutte contre le proxénétisme, etc. Le nombre croissant des travailleuses du sexe notamment dans le quartier de Belleville, a suscité l’intérêt – de la compassion à la condamnation – des riverains, des policiers, des élus locaux, des journalistes. Tous ont contribué, chacun à leur manière, à les sortir de l’ombre en éclairant leurs conditions de vie au départ de la Chine et à leur arrivée en France. Le titre « La Marcheuse» reprend le terme utilisé par les journalistes, sans pour autant cantonner ces femmes à leur activité en l’incarnant en une femme, Aiyu, subliment interprétée par Qiu Lan.

Pour dessiner les traits d’Aiyu, Naël s’inspire des récits de vie des femmes qu’il accompagne bénévolement depuis 10 ans sur le Lotus Bus, programme dont il est devenu le co-responsable associatif. Aiyu est originaire du Dongbei, province au nord de la Chine massivement touchée par les fermetures d’usine et le chômage. Après la perte de son travail et le divorce avec son mari, elle décide de partir, n’importe où, pour trouver mieux ailleurs. Sans papiers, elle s’essaye aux boulots qui lui sont possibles : elle est d’abord nounou, puis aide à domicile d’un vieux monsieur, et offre enfin ses services sexuels sur le boulevard de la Villette. Elle y trouve finalement une plus grande liberté qu’en étant l’esclave d’une famille du Wenzhou, première vague d’immigrés chinois majoritairement commerçants.

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Dans ce film, l’illusion d’une grande communauté chinoise est démystifiée – on pense à la scène ou Aiyu et ses amies se font virer d’un restaurant Wenzhou sous les insultes du patron – sans annihiler les relations de solidarité qui se créent non pas entre « les Chinois » mais entre des femmes qui partagent des trajectoires et un quotidien similaires.

Rue

Ce quotidien est incarné dans les nombreuses scènes de rue, Aiyu au premier plan : les clients qui errent sur le boulevard l’œil hagard, les arrestations hasardeuses des femmes qui « marchent », les voleurs à la tire qui ont flairé les victimes faciles, les groupes de femmes qui papotent et rigolent au carrefour d’une rue, tout en restant attentives aux violences alentours dont elles sont potentiellement la cible. « Ça, c’est notre vie » dira Aiying, présidente des Roses d’acier – association de travailleuses du sexe chinoise de Paris créée en décembre 2014 – en sortant du cinéma.

Dans ce décor se dessine une intrigue socialo-amoureuse : le voisin d’Aiyu, petite frappe, belle gueule cassée, est recherché par des gros bras à qui il doit de l’argent. Après avoir fui son appartement, il vient s’installer, de force, chez le grabataire dont s’occupe Aiyu. D’abord opposée à ce squattage, Aiyu redéfinit les termes de cette intrusion par un nouveau contrat : elle propose à l’homme de rembourser sa dette contre leur mariage, qui lui permettrait d’obtenir des papiers. « Chacun exprime ses besoins et le contrat se crée automatiquement », commentera Ting Cheng, porte-parole bénévole des Roses d’acier. « Elles ont apprécié que le film ne rentre pas dans les clichés du rapport dominant/dominé. Les relations d’intérêt se transforment peu à peu et la romance y trouve une place : « Si on se marie, tu arrêteras de faire le tapin, ça craint » glisse cet homme mi-menaçant mi-attirant, quelques temps après leur rencontre, insinuant par là que l’attachement à un homme puisse se substituer à l’activité rémunératrice d’une femme. Selon Ting, l’ambiguïté de cette relation a mené les Roses à pousser la réflexion sur leurs envies. Qui attendent-elles ? Un potentiel mari ou des clients qui respectent un contrat financier ? Le film rappelle que de belles relations, parfois amoureuses, peuvent naître dans tous les contextes, et que la vente de prestations sexuelles ne fait pas disparaître les rapports intimes.

Folamour - Vito Films (c) Folamour - Vito Films
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La complexité des relations, où la frontière entre le personnel et le professionnel n’est pas toujours claire, se retrouve dans l’histoire de l’amie d’Aiyu avec un policier. Elle pallie la solitude du flic, lui la protège des arrestations (ainsi que ses amies). Dans la réalité des situations que nous observons au Lotus, ce flou relationnel est parfois aussi source de violence, quand, par exemple, la femme est contrainte à des relations non-tarifées contre un échange de services.

Le lundi qui a suivi la sortie du film en salles, une trentaine de travailleuses du sexe de Belleville est allée voir La Marcheuse. La majorité d’entre elles est retournée travailler sans tarder, mais certaines se sont retrouvées autour d’un café à Belleville. Après un débat animé autour de l’actuelle vague d’arrestations de propriétaires d’appartements qui leur servent de lieu de vie et de travail par la brigade de répression du proxénétisme (BRP), la conversation se recentre peu à peu sur le film. Unanimement, elles saluent ce film pour l’influence qu’il aura sur le grand public : en sortant du seul prisme de la prostitution, il montre au monde leur vie de femmes, de mères, et l’accueil qu’elles reçoivent en tant qu’immigrées chinoises sans papiers. Elles espèrent qu’il va éveiller un minimum de compassion à leur égard, me dit Ahming, membre des Roses d’acier.

Un élément du film instaure néanmoins le débat : à la différence de la majorité des femmes, Aiyu est venue en France avec sa fille de 14 ans, Cerise. En découverte de sa sexualité, attirée par l’interdit, Cerise flirte avec l’homme qui s’est incrusté dans leur vie. Au café, la plupart des femmes présentes ont laissé leurs enfants en Chine. C’est aussi pour leur assurer de bonnes études et de meilleures conditions de vie qu’elles sont venues ici. Certaines d’entre elles voient dans le comportement de Cerise l’influence de la profession de la mère. Yueyue, 45 ans, dont la fille est en Chine, glisse que par téléphone, il est plus facile de cacher le quotidien. C’est ce qu’elles font avec leurs parents à qui elles n’osent pas parler de leur métier, et c’est peut-être ce que font leurs enfants en Chine pour cacher à leur mère une partie de leur quotidien d’adolescents ou de jeunes adultes. Cacher ou dévoiler une part de son intimité est partie intégrante de la vie de chacun, en situation de prostitution ou non, en Chine ou ailleurs et c’est peut-être ce que cherche à montrer le réalisateur à travers le personnage de la jeune fille. La présence de Cerise aux côtés de sa mère, et pas uniquement par Skype, permet également de mettre en avant l’importance de la famille pour ces « mères-courage ».

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Lors d’un débat, une spectatrice a objecté que le film était trop fleur bleue et ne témoignait pas suffisamment des réseaux de proxénétisme qui organisent le travail des femmes. Cette question, récurrente lorsqu’on parle de prostitution, montre la difficulté des gens à imaginer que des travailleuses du sexe puissent être autonomes, car cela pourrait interroger la responsabilité de notre société. Une autre personne présente, d’origine chinoise, demandait « mais à qui sert ce film ? A quoi sert de montrer ces images ? » Aiyu et ses amies ne sont pas présentées dans le film comme des victimes  mais comme des femmes qui ont fait et continuent à faire des choix, malgré les obstacles qu’elles rencontrent. La violence en est un, et le silence dans lesquelles elles sont plongées en est un autre. Violence comme silence, suggérés dans le film sans en être le centre, ne sont pas intrinsèques à la prostitution. Elles résultent de leur situation d’illégalité et des discriminations à la fois interpersonnelles et institutionnelles. Montrer ces images, c’est ouvrir et inciter à ouvrir des espaces de parole pour écouter ces femmes… en contre-point des lois coercitives qui les isolent de plus en plus.

Aël Thery

 

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