Tournée nocturne dans les rues de Paris

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Photo de J. Porché pour MdM

Les numéros du Fil journal interne de la délégation Ile-de-France passent mais ne ressemblent pas. Les rencontres toutes plus enrichissantes les unes que les autres, nous plongent souvent dans l’actualité. À la veille des premiers froids hivernaux, la mission SDF reste plus que jamais au cœur du débat.

Je m’appelle Juliane et je suis stagiaire depuis 6 mois à la délégation de MdM, avenue Parmentier. Avec ma collègue, nous avons réalisé des interviews des principaux acteurs de la mission. En amont ou en aval, chaque interlocuteur nous a touché par la sincérité de son travail, de ses propos, de son projet de vie personnel ou professionnel. Mais les paroles sont beaucoup plus riches lorsqu’on les colle à la réalité du terrain. C’est pourquoi, nous nous sommes inscrites pour une maraude. Il est bien sûr évident que notre maigre collaboration ne pouvait changer la face du monde, mais notre témoignage, nous l’espérons, rendra hommage à toutes ces personnes rencontrées le 21 juillet dernier.

Branle-bas de combat à la mission, Cyril, notre logisticien à mi-temps, prépare quelques sandwichs et des boissons chaudes. Il nous explique que cela leur permet de prendre contact avec les bénéficiaires. La confiance s’installe petit à petit entre eux et la mission. Quant à Solveig, l’assistante sociale, elle prépare « le plan d’action » : planification du parcours, photocopie des fiches médicales… Le circuit se fait en fonction des personnes déjà déterminées, des signalements et des rencontres faites au fur et à mesure de la nuit. Gilets sur le dos, nous nous installons quelques minutes après dans le camion avec Marc, le médecin, Solveig, Cyril (conducteur) et Raphaël, bénévole. Nous empruntons le boulevard Magenta. Cyril, notre œil de lynx, aperçoit un groupe de 3 hommes et 3 femmes. Avec Raphaël, nous sortons thé, café et victuailles. Chacun engage la conversation avec les bénéficiaires. L’un d’entre eux, un homme de 42 ans, Johnny, raconte qu’il est arrivé de Lille à Paris, il y a 1 an et demi. Nous nous éloignons vers le camion afin que Marc rentre en contact avec Johnny, tandis que Raphaël remplit la fiche médicale. Solveig nous explique qu’elle les avait déjà rencontrés vers la Gare du Nord.

Retour au camion. Personne ne se laisse aller à l’apitoiement et la bonne humeur reste visible. Est-ce le remède pour tenir face aux situations difficiles qu’ils rencontrent ? Personne ne pourra donner la réponse, la seule chose que l’on peut affirmer, c’est que l’union fait la force et le moral. Un proverbe qui sied parfaitement à cette généreuse équipe.

Le camion remonte vers Barbès, où un homme, signalé lors du brief, semble particulièrement en difficulté. À côté ce nouveau bistrot branché qui donne au quartier un moyen d’attirer une nouvelle population, cet homme apparaît en grande solitude. En notre présence, le dialogue ne prend pas. Solveig nous prend à part et nous explique que certaines personnes ont besoin d’intimité pour parler. Marc prend alors la suite des commandes. Il s’assoit à ses côtés et lui offre un café. La mise en relation peut enfin commencer. On apprendra plus tard que cet homme de 50 ans a une famille et qu’une mise sous tutelle a déjà été demandée. Solveig prend alors rendez-vous avec lui pour suivre son dossier. Durant ce temps, nous entamons une conversation avec Cyril, sur son rôle, ses objectifs et son ancienne vie de photographe.

Au fil de notre pérégrination, nous accostons des hommes et des femmes de tout âge, venant de France, d’Europe, errant pour quelques jours dans la capitale, demandant un sandwich, une cigarette… Chaque rencontre est différente mais riche émotionnellement. On ne peut s’empêcher de réfléchir et de demander pourquoi ou comment peut-on en arriver là ?

L’expédition continue dans les petites rues aux alentours de la mythique Pigalle, lorsque deux personnes en errance, nous aperçoivent et nous interpellent pour nous demander à manger. La discussion est alors entamée tandis que Solveig explique le fonctionnement de la mission : apporter des soins médicaux aux démunis. Le contact est parfois difficile à mettre en place, comme pour cette femme qui nous demande d’appeler le Samu Social. Marc essaie d’en savoir plus, d’où elle vient et pourquoi elle souhaite être mise en contact avec le Samu Social. Quelques minutes plus tard, elle se ravise et nous continuons notre chemin.

photo de J. Porché
photo de J. Porché
photo de J. Porché
photo de J. Porché
photo de J. Porché
photo de J. Porché

Sur la route qui nous conduit vers le quartier Saint-Lazare/Madeleine, nous rencontrons un homme, sans-abri, assis dans l’embrasure d’une fenêtre. L’équipe commence son café/sandwich. Il confie qu’il ne manque de rien et qu’il a déjà eu à dîner. De fil en aiguille, la gardienne de l’immeuble en face vient à notre rencontre. Comme un ange gardien, elle prend soin de lui en lui apportant ses repas, en lavant ses affaires et tout simplement en discutant. Un lien amical s’est formé entre eux deux. Pour nous, c’est comme un ange gardien qui le protège. Rien ne destinait cet homme à entrer en contact avec une gardienne du 9e arrondissement de Paris.

Dans le quartier prestigieux du boulevard Haussmann et de la rue la Boétie, nous rencontrons le fameux Jean-Marc. Enfin ! Car depuis notre départ, nous entendons parler de lui : est-ce qu’il sera là, est-ce qu’il a de quoi manger, est-ce que son appartement est enfin vendu ? Des dizaines de questions qui nous interpellent. Ce Jean-Marc est assis en plein milieu de la place. Vêtements en mauvais états, barbe envahissante, des sacs autour de lui, ce personnage atypique est un véritable galant homme. Sourire aux lèvres, il dit bonjour à chacun d’entre nous. Dans une autre vie, il aurait pu jouer le rôle du Père Noël pour ses petits enfants, tant sa gentillesse et sa douceur nous ont émus. Tous les protagonistes sont en parfaite symbiose avec cet homme. Tout le monde boit un café, assis en face de lui, comme une bande de copains se rappelant de bons souvenirs. La confiance est tellement réciproque qu’il nous montre ses belles chaussures en cuir. Propres, cirées, elles sont protégées par du papier journal pour ne pas qu’elles se déforment. On finit par nous expliquer que Jean-Marc est un ancien trader dans la finance, propriétaire d’un studio à Paris. Il s’est retrouvé à la rue après la saisie et la vente aux enchères de son bien. La mission met en place des démarches afin qu’il puisse toucher cet argent et sortir de la rue. Cet homme si cultivé réussira-t-il à se réinsérer et à profiter enfin d’un moment de paix ?

La maraude arrive à la fin. Solveig, Marc et Cyril rentrent à Parmentier toujours avec un œil aguerri sur d’éventuels sans domicile fixe ayant besoin d’une écoute, d’un repas ou d’une boisson.

Raphaël, Emma et moi-même, nous avons récupéré le métro. Chacun est reparti dans son quotidien mais avec une pensée pour toutes ces personnes. Dans les transports, je réfléchis à la soirée que je viens de passer dans ce Paris parallèle. J’essaye de ne pas tomber dans le misérabilisme, mais je m’interroge sur le destin de ces hommes et femmes que la vie a mis à la rue. Je prends encore plus conscience du rôle essentiel des ONG qui maintiennent un lien social avec le monde au moyen d’un repas, d’une accolade, d’un salut, d’un café… Nos pensées se mélangent aussi à l’actualité du moment où tous ses migrants vont aussi avoir besoin de nous, de vous et des missions de MdM. 

 Juliane Porché, stagiaire de la délégation Ile-de-France

 

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