photo de Sinawi Medine pour MdM
Sinawi Medine est photographe, basé depuis 2009 à Nice. Il donne à voir des thématiques qui lui sont chères, comme l’immigration, au travers d’une écriture photographique documentaire.
Connaissiez-vous les JMF auparavant et qui vous y a invité à intervenir ?
Je ne connaissais pas l’événement. C’est Philippe De Botton, un bénévole dans la délégation PACA et membre du Conseil d’Administration de MdM, qui m’a demandé de venir participer. Lui s’est arrangé avec l’équipe de Lyon, notamment Paola.
Quelles ont été vos impressions lors de cette première journée ?
En général, c’est bien. Mais après, je trouve que les débats ne vont pas assez dans les détails. Je veux dire que certains sujets ne sont pas approfondis et passent à la trappe. En fait, j’ai l’impression que l’on ne traite pas vraiment de l’urgence que les thèmes abordés imposent. Sur les questions migratoires, on parle des gens de Calais oui, mais il y a des demandeurs d’asile invisibles un peu partout.
Pensez-vous que votre message a été entendu ?
J’espère que j’ai réussi à faire passer le message que je voulais faire passer. Après le public ne m’a pas posé de question. Mais c’est vrai que sur cette question migratoire, on ne peut pas apporter de réponses concrètes. On va avoir des discours. C’est des questions/réponses qui tournent en rond. Là, ici, je pense que l’on prêche des convaincus, on va être d’accord. Mais qu’est ce qu’on fait réellement ? Cela dit, il est tout de même important d’avoir ce rendez-vous, c’est même très important. Le but reste de faire changer les choses, et le changement ne vient pas en un jour.
Depuis combien de temps êtes-vous photographe ?
J’ai 33 ans. J’ai grandi avec la photo. J’ai été assistant photographe de mon cousin quand j’avais 15 ou 16 ans. Après j’ai commencé à travailler professionnellement comme salarié en Erythrée en 2000. Ensuite, j’ai été responsable d’un institut de photo au Soudan pendant 4 ans. J’ai beaucoup travaillé et essaye de continuer à travailler avec les argentiques. J’ai commencé avec le numérique quand je suis arrivé en Europe. Je suis arrivé en France en 2009. Petit à petit j’ai eu de plus en plus de matériel, en arrivant je n’avais pas grand chose. Car avant en fait, j’étais en Libye, j’ai fait le trajet avec les passeurs et je voulais faire un reportage, mais le passeur m’a cassé mon appareil, donc je suis arrivé en Europe sans rien. Arrivé en France j’ai acheté un appareil d’occasion. J’ai recommencé donc à faire de la photo. Avec mon travail, j’ai réussi à exposer dans certains lieux. En 2012 par exemple, j’ai exposé à Arles. Auparavant j’avais aussi réussi à exposer dans une Université Saint Jean d’Angely à Nice. Après c’est dur de gagner sa vie en faisant de la photo. J’ai continué à assister des photographes, aussi pour acquérir plus de technique et continuer à apprendre. Aujourd’hui je suis indépendant.
Avez-vous envie d’intégrer une structure qui pourrait vous représenter ou préférez-vous rester indépendant ?
C’est difficile de trouver, mais oui j’ai envie. J’ai envie de travailler avec plusieurs photographes avec qui je pourrais échanger etc. Aujourd’hui là, je peux faire des photos, j’en fais, mais elles sont toujours dans mon ordinateur. Être dans une agence de presse me permettrait de faire voir mon travail et d’avoir plus de visibilité, c’est sûr. Ma première photo a été publié l’été dernier dans le journal Le Monde : c’est un début.
Vous travaillez aussi pour des ONG comme MdM ?
Oui, j’ai réalisé un reportage pour MdM, sur la question des demandeurs d’asile. C’est un travail que j’ai réalisé à Vintimille. Je m’intéresse aux questions migratoires parce que je connais la situation, je l’ai vécue. Et la photographie, c’est le seul moyen pour moi de m’exprimer. Le chemin que j’ai suivi m’amène aujourd’hui à faire plus de la photographie de reportage. Parce que je crois que ça peut être utile. D’abord, pour garder des traces. Et puis ça peut être aussi utile pour, si jamais j’ai l’occasion, pouvoir publier dans la presse des pays dont sont originaires ces personnes, pour leur dire comment ça se passe en Europe, pour qu’ils ne soient pas dans l’illusion. Je veux tout simplement montrer la réalité. C’est aussi pour aider les associations qui se combattent pour l’obtention des droits des demandeurs d’asile. Je donne à voir ce qu’il se passe à Vintimille en espérant atteindre le plus grand nombre. Je ne suis pas encore allé à Calais, mais j’aimerais.
« Mon association, c’est la situation. Et je m’implique dans cette situation par la photographie. Dans mon travail, je suis des gens qui sont dans des associations, je les aide dans cette situation. »
Comment raconteriez-vous vos images ?
Je ne mets pas trop de paroles et de texte dans mes images. Je pense que les images parlent d’ellesmêmes. J’essaye de montrer la réalité, la situation actuelle. Je me focalise beaucoup sur le regard et l’expression des gens. Je pense que la photographie est un support que l’on ne peut pas manipuler ou truquer, elle attrape la réalité, montre ce qui se passe véritablement. Je passe beaucoup de temps à faire des photos, de jours en jours, pour en avoir certaines qui vont sortir du lot. Mais je ne cherche pas à faire une œuvre d’art. Je cherche juste un rendu visuel, esthétique, qui raconte une histoire. Je ne cherche pas à faire de l’art sur de la souffrance. Je cherche juste à montrer des regards humains.
Que pensez-vous de la représentation des migrants dans les médias ?
C’est difficile de juger, ou de mettre tout le monde dans le même sac. Parfois, leur discours est exagéré. Pourquoi ? Parce que c’est le côté négatif qui ressort. On attend de voir des migrants galérer dans une situation. Puis les médias vont parler de cette situation parce qu’ils savent que ça va être relayé et que tout le monde va en parler. Après, ça dépend. Ça c’est quand il va s’agit de l’actualité. Mais il y a aussi du travail de témoignage qui est réalisé sur le long terme. Pour moi, c’est important de les accompagner, de les suivre, des les voir quotidiennement pour les comprendre. Je veux d’abord connaître leur histoire avant de les photographier pour justement pouvoir la retransmettre par mon regard de photographe. C’est pour ça que je peux dire que je fais du reportage. Quand je vois mes images je peux me dire que je connais les personnes qui sont dessus. Je travaille « sur le vif », je ne demande pas des poses et des mises en scène. Eux me connaissent aussi, j’essaye d’installer une relation de confiance.
Selon vous, cette représentation a-t-elle un impact dans la communication que va faire une organisation de son action humanitaire ?
Oui, je pense qu’il y a une différence entre les médias et les gens qui sont sur le terrain. C’est clair que les médias sont des entreprises, donc il n’y a pas la même logique derrière. Ils vont parler d’une situation parce qu’elle va faire vendre. Ils ne sont pas là tout le temps pour décrire exactement ce qu’il se passe. Ils essayent de tirer profit de ces questions migratoires, c’est leurs conditions de travail en fait. Après il y a certains médias qui vont être plus efficaces, qui publient de vrais portfolios etc. Mais quand tu n’es pas connu, aujourd’hui la difficulté c’est d’avoir des parutions importantes de tes photographies. C’est une histoire de business.
Quel rôle doit avoir l’image dans le traitement particulier de ce sujet des migrants ?
Il y a beaucoup de choses que l’on peut tronquer, modifier, alors qu’avec la photo ce n’est pas possible. Elle se passe de mot. Il y a un texte de présentation au départ, une ligne de légende, et voilà. Je pense que la photo est utile, comme on l’a vu avec la photo de ce petit enfant syrien échoué sur une plage turque. Ça a permis de faire bouger les choses. C’est dommage qu’on est attendu de voir quelqu’un qui s’est sacrifié pour montrer la situation de plusieurs milliers de personnes. Je suis triste pour Aylan, je suis triste pour ceux qui ont perdu leur vie et qui n’ont pas été photographié plus tôt. J’aurais préféré que cette photo n’existe pas, mais le fait que cette photo existe témoignera toujours que cet enfant n’a pas disparu. On s’en souviendra. C’est triste mais en un sens, ça mort a servi, parce qu’elle a impulser quelque chose dans les opinions publiques. C’est dommage d’avoir perdu du temps, mais peut-être que maintenant il y aura moins de victimes.
Dans quelle mesure voyez-vous une logique humanitaire dans le métier de photojournaliste ?
C’est deux choses qui sont toujours liées. Sans photos pour témoigner de ce qu’il se passe sur le terrain, les humanitaires ne peuvent pas interpeller. Si tu peux faire de la vidéo, c’est très bien aussi. Mais la photo il suffit d’une seconde pour la comprendre.
propos recueillis par Nicolas Foucher.