L’accès aux soins des plus démunis en France : rapport 2014

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Photo de Justine Roche

L’année 2014 s’illustre par une augmentation du nombre de personnes fuyant leur pays en crise ou en conflit et qui frappent aux portes de l’Europe. Ainsi plus de 276 000 migrants ont franchi les frontières de notre continent1, leur nombre aurait triplé en un an. L’extrême dangerosité des routes migratoires les poussent à prendre des risques immenses, ce qui se traduit par des milliers de morts notamment en mer Méditerranée et une exposition accrue à des violences de toutes sortes. 

À Calais, ils sont aujourd’hui plus de 3 000 à vivre dans des conditions sanitaires déplorables sur le site d’une ancienne décharge. Face à l’absence de réaction adaptée du gouvernement et face à l’ampleur des besoins vitaux, MdM a développé, avec d’autres associations, des opérations à l’image de ce qui peut être fait à l’international sur les zones de catastrophes naturelles ou de conflits. Des consultations médico-psycho-sociales ont été proposées, s’ajoutant à la distribution de kits d’hygiène, de colis alimentaires, d’eau potable et à la construction de douches et de latrines. en plus de nos activités de long terme fortement orientées vers le public migrants précaires, les équipes de MdM ont été réactives face aux nouveaux besoins, que ce soit à Paris, sur la frontière franco-italienne, dans toute l’europe et à l’international.

Les tragiques événements de la fin de l’été 2015 ont modifié le discours des autorités françaises et de certains pays européens sur ces migrants en quête de protection. Pour autant les annonces restent très en deçà du défi posé à la France pour répondre à l’attente de ces personnes. Aujourd’hui, il faut sortir de la logique de campement. La France peut et doit se mobiliser pour offrir des conditions d’accueil décentes aux migrants avec des lieux de mise à l’abri qui répondent à leurs besoins vitaux et où ils puissent être soignés, accompagnés sur le plan psychologique et correctement informés afin de pouvoir exercer leurs droits, notamment celui de demander l’asile.

La France doit par ailleurs s’engager à accueillir un plus grand nombre de réfugiés, dans le cadre du principe de solidarité européenne qu’elle entend défendre et s’assurer de la mise en place d’un accueil digne, en particulier dans les pays de première arrivée. Avec ses partenaires européens, elle doit aussi d’urgence ouvrir des voies d’accès légales et sûres pour les personnes qui se trouvent dans des pays tiers (Liban, Turquie, Jordanie, Libye, etc.) et qui souhaiteraient trouver un asile en europe sans risquer leur vie et sans avoir recours à des passeurs.

Le cas des mineurs isolés, dont le nombre est en constante augmentation en France, est également symptomatique de politiques qui mettent davantage l’accent sur les dimensions sécuritaires en matière de gestion des flux migratoires que sur la protection de l’enfance. Ils sont accueillis sur le territoire français la plupart du temps dans un climat de suspicion généralisée, leur minorité est très souvent remise en cause et les équipes de MdM constatent de nombreux dysfonctionnements dans la prise en charge de ces jeunes qui ont des conséquences dramatiques sur leur avenir.

 L’année 2014 se caractérise également par la poursuite des démantèlements de campements, de bidonvilles et de squats le plus souvent sans alternative de relogement. en totale contradiction avec la circulaire du 26 août 2012 ou la politique de résorption des bidonvilles annoncée depuis février 2014, ces expulsions contribuent à mettre des personnes en danger en les exposant aux risques de la vie à la rue et témoignent de l’échec des politiques publiques en matière de logement pour les plus précaires.

Concernant la loi de santé présentée en 2015, les équipes de MdM se sont fortement mobilisées pour informer et interpeller les élus. Les avancées contenues dans le projet de loi de santé restent très insuffisantes eu égard aux objectifs fixés. Malgré des progrès comme la généralisation du tiers payant ou l’expérimentation de salles de consommation de drogue à moindre risque, le texte reste en deçà des enjeux d’accès aux soins et aux droits. Il ne sécurise pas assez les structures de soins de premier recours (PMI, centres de santé, Pass…) dont beaucoup sont en difficulté voire menacées, alors qu’elles sont essentielles. Dans le domaine de la prévention, le texte ne prévoit rien sur les dispositifs dont l’efficacité est pourtant démontrée pour aller à la rencontre des populations les plus déshéritées. De même qu’il néglige les efforts nécessaires en matière de médiation sanitaire et d’interprétariat professionnel.

Concernant la lutte contre l’épidémie d’hépatite C, les nouveaux traitements que sont les antiviraux à action directe (AAD) permettent une amélioration considérable de la prise en charge2 et offrent ainsi une opportunité exceptionnelle d’éradiquer le virus. Mais leurs prix, excessivement élevés, viennent déséquilibrer les systèmes de santé, y compris ceux qui sont considérés comme les plus performants. À ce jour, les indications de traitement concernent seulement les personnes les plus gravement malades3 en France. Ceci va à l’encontre des recommandations du rapport d’experts sur les hépatites B et C4 et traduit de fait une priorisation et donc un rationnement compte tenu de son prix. En 2014, MdM ainsi que d’autres associations a continué de dénoncer le prix exorbitant5 du sofosbuvir (Sovaldi®). L’association s’est par ailleurs engagé sur le terrain juridique en déposant un recours d’opposition au brevet du sofosbuvir devant l’Office européen des brevets (OeB). C’est la première fois en europe qu’une ONG médicale utilise cette voie pour défendre l’accès des patients aux médicaments. Cette démarche consiste à provoquer un débat public sur les mécanismes de fixation du prix des médicaments. Des modèles alternatifs aux brevets pour financer la recherche et le développement sont à discuter tout en renforçant la transparence sur les coûts et la traçabilité des financements publics investis. Une représentation des associations de patients et de lutte contre les inégalités de santé aux seins des instances telles le CePS ou la Commission de la transparence de la haute autorité de santé (hAS) doit aussi être défendue. La démarche de transparence que sous-tendent ces propositions relève au fond d’une réaffirmation et d’un renforcement nécessaire du principe de démocratie sanitaire. 

En 2014, les équipes de MdM ont milité pour que le projet de loi sur le système prostitutionnel s’engage dans le sens de la lutte pour le respect des droits et contre la pauvreté et les inégalités. Le délit de racolage doit être abrogé urgemment et l’on doit écarter la pénalisation des clients qui n’améliorera en rien les conditions d’existence et l’accès aux droits fondamentaux des personnes qui se prostituent, comme on peut le voir dans les pays où ce système existe.

Enfin, MdM continue de développer ses opérations en zone rurale et envisage de s’investir davantage dans certains quartiers où l’accès aux soins et aux droits est de plus en plus restreint. Le travail des équipes montre que la lutte contre la pauvreté et les inégalités dans ces zones en partie délaissées par le droit commun doit s’accompagner de politiques publiques autrement plus volontaristes que celles envisagées aujourd’hui. 

Dr Jean François Corty, Directeur des Missions France

(1) Source : Commissaire européen en charge des migrations, 2014.

(2) Ils sont en effet mieux tolérés et affichent un taux de guérison dépassant les 90 %.

(3) Recommandations HAS 2014.

(4) Ministère des Affaires sociales et de la santé, CNS, ANRS. Rapport de recommandations 2014.

(5) 41 000 € la cure de 3 mois ; alors que son coût de production est estimé à 101 dollars pour douze semaines de traitement.

Pour plus d’information :

– Rapport de l’observatoire de l’accès aux droits et aux soins-2014

– Synthèse du rapport de l’observatoire de l’accès aux droits et aux soins-2014

 

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