V1 En Guyane, la reconnaissance des compétences professionnelles des bénévoles pairs, une mise en œuvre concrète de nos principes d’empowerment.

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Jean-Baptiste Matray, directeur de la communication et du développement

Dans le cadre des rencontre régionales, une équipe du siège dont je faisais partie a eu la chance de rencontrer celles et ceux qui assurent la mission de MdM à Cayenne, de vivre le quotidien de l’équipe en place et de mieux comprendre la façon dont nous travaillons avec les bénévoles dans le cadre de leur mission de médiation en santé. L’occasion aussi de mieux comprendre le travail effectué pour faire monter en compétences nos bénévoles pairs et faire reconnaitre ces compétences, notamment à travers un Diplôme Universitaire. L’opportunité enfin de pouvoir témoigner des parcours d’un certain nombre de bénévoles, ô combien inspirant. Des rencontres fortes et une vraie fierté d’appartenir à MdM compte tenu de la qualité du travail et de l’engagement des équipes sur le terrain.

Des besoins immenses

Créée en décembre 2003 et implantée principalement sur l’île de Cayenne, la Mission France Guyane, devenue Délégation régionale Guyane en 2020 de Médecins du Monde, développe un programme de médiation en santé, auprès d’un public en situation de précarité, principalement des personnes exilées.

Seul territoire européen en Amérique du Sud, la Guyane partage ses frontières naturelles avec le Surinam (fleuve Maroni) à l’Ouest et le Brésil (fleuve Oyapock) à l’Est. Cette double appartenance à l’aire géographique sud-américaine et caribéenne et à l’espace européen en fait un territoire propice aux mouvements migratoires et ce depuis la fin des années 60.

Aujourd’hui peuplé d’environ 300 000 habitants, sur une superficie comparable à la Nouvelle Aquitaine, la Guyane doit faire face à un grand nombre de défis : une société pluriethnique et multilinguisme avec une quarantaine de langues parlées sur le territoire et un habitant sur trois originaire d’Haïti, du Suriname ou du Brésil ; une pauvreté très marquée, 53% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté ; des conditions d’habitats très dégradées, plus du ¼ des logements étant des « habitats informels » et des indicateurs de santé de la population particulièrement en retrait par rapport à la population métropolitaine. La Guyane est le département français le plus touché par l’infection du VIH et la population y est logiquement exposée à des pathologies infectieuses épidémiques tropicales (Zika, Chikungunya, Dengue)

A ceci se superpose une problématique aiguë d’accès à la santé pour les publics cibles de MdM. Sur le territoire guyanais, l’offre de prévention et de soins est sous-dimensionnée et inégalement répartie (principalement concentrée sur le littoral). Les services Permanence d’Accès aux Soins de Santé (PASS) sont saturés ; le manque de travailleurs sociaux est patent et les dispositifs de santé ne sont pas toujours adaptés au territoire et aux spécificités des populations.

Les obstacles à la santé sont nombreux (méconnaissance des circuits d’accès au droit, manque de justificatifs pour constituer des dossiers, barrière de la langue, peur des contrôles policiers…), aussi la délégation a-t-elle centrée ses activités sur la médiation en santé dans un certain nombre de squats et bidonvilles de l’île de Cayenne.  

Le médiateur en santé, pivot des activités de médiation

La médiation en santé, tout le monde en connaît le principe : créer des interfaces entre les différents acteurs du système et les personnes en difficulté dans leurs parcours de soins et de prévention pour aider ces personnes à accéder justement à ces soins. Dès lors, elle est au cœur de l’action de MdM et se positionne comme un outil indispensable pour lutter contre les inégalités de santé.

L’activité est très structurée, notamment entre maraude de veille et d’orientation pour aller à la rencontrer des habitants des différents bidonvilles, équipes mobiles sanitaires où MdM installe littéralement une clinique au sein de ces zones et permanences au local de la délégation.

Mais le plus important reste les personnes qui mettent en œuvre ce projet. J’ai pu suivre Maria, l’une des médiatrices lors d’une maraude pour aller à la rencontre des habitants du quartier de Savane et, au-delà des actions classiques de médiation, annoncer la mise en place prochaine d’une Equipe Mobiles Sanitaires dans le quartier. L’objectif premier de la maraude est de créer du lien avec les habitants… Et cela marche ! J’ai été vraiment impressionné par sa connaissance du quartier et par le lien de confiance qu’elle avait su créer avec les personnes qu’on a pu rencontrer. Là-bas, les parcelles sont séparées par des tôles qui ne permettent pas de voir si quelqu’un est présent chez lui ; on doit donc mettre au sens propre le pied dans la porte pour entamer le dialogue. A Cayenne, l’aller vers n’est pas une simple formule et la présence acceptée de MdM dans ces quartiers ciblés est le premier pas pour assurer un recours à la santé de ces populations.  

Au-delà, c’est l’accompagnement des bénévoles qui m’a vraiment impressionné, la mission Guyane ayant réussi à développer une équipe bénévoles multiculturelle et multilingue, à l’image de la région. A côté d’une vingtaine de bénévoles soignants qui viennent de l’hexagone pour des périodes plus ou moins courtes, l’équipe salariée peut s’appuyer sur près d’une cinquantaine de « facilitateurs communautaires » principalement issus des communautés auprès desquelles MdM intervient et habitants des quartiers informels et bidonvilles. Ceux-ci vivent majoritairement dans des situations précaires en termes administratifs, financiers ou en termes de logements. Leurs savoirs expérientiels, la médiation culturelle et linguistique qu’ils peuvent assurer est un atout majeur pour créer du lien avec les populations.

Une politique très ambitieuse de formation des bénévoles médiateurs qui porte ses fruits

Si l’investissement des bénévoles pairs est fort et leur disponibilité importante, leur besoin en formation est également très important. Celle-ci passe bien évidemment par un suivi régulier de leur travail avec notamment des accompagnements sur le terrain effectué par les médiatrices salariées de l’équipe de MdM.

Mais pour aller plus loin, il fallait pouvoir professionnaliser ces bénévoles et leur faire reconnaître leurs compétences de médiateurs en Santé. Pour cela, la délégation guyanaise a pu s’appuyer sur la création du Diplôme Universitaire, dont le projet a pris forme en 2019, au sein du milieu associatif guyanais impliqué dans la médiation en Santé. Si ce DU, financé en grande partie par l’ARS, n’apporte pas un titre professionnel, il participe grandement à la montée en compétence des personnes qui le suivent. La vingtaine de participants de chaque promotion annuelle suivent ainsi une semaine de cours par mois pendant 6 mois afin de balayer l’ensemble des compétences du métier de médiateur en santé (élaboré en 2017 par la Haute Autorité de Santé). Cette formation leur donne surtout la chance de rencontrer les professionnels de ce métier et de se créer un réseau qui leur permet, par la suite de continuer les partages entre eux, une fois la formation finie. Des réunions d’anciens sont organisées et des groupes Whatsapp des différentes promos ont vu le jour pour favoriser les échanges.

      

 

MdM y intervient dans les enseignements sur plusieurs modules et notamment pour faire partager les enseignements du terrain de ses médiateurs en santé. Par ailleurs, l’équipe de la délégation utilise cette possibilité comme un véritable outil pour faire monter en compétence ses bénévoles les plus impliqués. Pour cela, la délégation assume les frais d’inscription (150 euros) pour 4 personnes par sessions après avoir identifié et sélectionné les bénévoles motivés et au profils adéquats.

Depuis 2019, 17 personnes issues des « rangs MdM » ont ainsi pu être formées. Cette formation est unanimement décrite comme particulièrement riche, en particulier parce qu’elle « permet de donner le fond technique à ce qu’on avait appris sur le terrain, au contact des médiateurs en santé MdM » comme le souligne Olivier, arrivé en Guyane en 2016 en provenance d’Haïti, et ayant rejoint MdM comme bénévole en 2018. Au-delà, cette formation continue-t-il est « un énorme plus pour être plus sûr de soi dans la façon dont on fait son métier et surtout un énorme plus pour faire reconnaître une compétence qu’on a pu apprendre au contact des médiateurs en santé de MdM ».

La plupart des bénéficiaires de ce DU ont pu trouver un métier et sont intégrés dans un réseau d’ancien qui reste une ressource pour échanger et lever des doutes sur des situation de médiation. L’expérience MdM associé au titre du DU leur donne la possibilité de travailler dans n’importe quelle association avec une logique de mieux servir les usagers, quand les enjeux de régularisation ne prennent pas le pas sur cette compétence nouvellement acquise. C’est le cas d’Alexander, arrivé de Saint Domingue il y a un peu moins d’un an, qui a pu grâce au DU se sentir « plus autonome et sûr de lui dans la pratique de son métier » mais dont la demande d’asile bien d’être rejeté. « Je ne peux pas rendre ce que j’ai appris » regrette-t-il. Il reste bien évidemment impliqué plus que jamais en tant que bénévole au côté de MdM.

Pour conclure, j’en ressors avec la conviction que les bénévoles développent de réelles capacités, acquièrent une compétence et participent, grâce à MdM au développement du métier de Médiation en Santé, qui est le pivot des actions pour l’accès aux soins et aux droits des populations guyanaises. « Tout ce que je fais aujourd’hui et qui m’a permis de trouver un emploi salarié comme médiateur en santé, je l’ai appris chez MdM, et comme je ne peux pas lâcher MdM je suis reste encore bénévole quand je le peux et je suis maintenant adhérent ». Un super parcours dont l’équipe en place peut être fière !

 

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