Toute la misère du monde est bien là, mais nous ne sommes décidément pas prêts à l’accueillir

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Calais est une commune française, sous-préfecture du département du Pas-de-Calais en région Nord-Pas-de-Calais. Ses habitants sont appelés les Calaisiens. La population municipale comporte 75.000 habitants, la zone urbaine environ 130.000. La ville de Calais est la plus peuplée du département, bien qu’elle n’en soit pas le chef-lieu, cette fonction revenant à Arras. Elle est également la principale ville française de liaison avec la Grande-Bretagne grâce à son port, premier port français de passagers, et au tunnel sous la Manche. Calais se situe sur la Côte d’Opale, au bord du Pas-de-Calais entre la Manche et la Mer du Nord, à seulement 38 km des côtes anglaises, et à 170 km de Londres par le tunnel et la route.

La mission MdM de Calais est située sur la « jungle » de Calais, à 7 km du centre de la ville, en direction de Gravelines, le long de l’autoroute. Sur une longue distance, une double barrière barbelée protège ou sécurise, c’est selon, l’entrée du tunnel vers la Grande-Bretagne, aboutissement de l’espoir et du désespoir de tous ceux qui imaginent trouver en Europe une terre d’asile et de solidarité. De longues files de camions, de voitures, de caravanes, de camping-cars attendent de s’embarquer après avoir satisfait aux contrôles portuaires. 

Dans la ville de Calais proprement dite déjà, divers sites (le porche de l’église, des entrées d’entrepôt) sont occupés par des migrants en quête d’abri.

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Le camp est en fait un énorme bidonville où les conditions d’hygiène et de promiscuité sont déplorables : quelques robinets branchés sur des conduites à 30 cm du sol, des blocs toilettes dans des rangées de cabines, des détritus et des poubelles partout car la municipalité ne s’occupe qu’occasionnellement de leur ramassage. Un anglais, Tim, un sans-abri de No Border, y loge également depuis 6 mois dans une caravane déglinguée et colorée. Il s’est présenté à notre consultation, pieds nus et blessés ; son traitement a consisté en la fourniture de sandales après un nettoyage intensif de ses jambes. Jules Ferry proprement dit reste propre et organisé, et distribue tant bien que mal 2.400 repas une fois par jour grâce à une association publique municipale « Vie active ». Les priorités (enfants, femmes enceintes, etc) ont été totalement supprimées en raison de leur détournement systématique. La file d’attente pour les repas peut ainsi s’étaler sur plus de deux heures. Il n’y a dans cette partie aucune capacité d’hébergement (sauf pour quelques femmes et enfants), ni aucun siège pour éviter que les migrants ne s’assoient et s’installent ; ils prennent donc leur unique repas quotidien debout, éventuellement abrités d’une bâche en cas de pluie, fréquente en cette saison.

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Le réseau environnant est bien connu et utilisé intensément :

  • La PASS : la Permanence d’accès aux soins, une consultation de médecine générale et d’orientation, logée à l’hôpital, prestée par des vacataires, et dédiée aux patients ne disposant pas d’une couverture sociale.
  • Le service des urgences « porte » de l’hôpital et les différentes consultations spécialisées.
  • Le Centre de planification familiale pour les problèmes habituels de santé sexuelle et reproductive.
  • Le CDAG : le Centre de dépistage anonyme gratuit pour toutes les maladies et infections sexuellement transmissibles.
  • L’ISM : l’Interprétariat service migrants, situé à Paris et qui met immédiatement en contact téléphonique le soignant en difficulté linguistique et un interprète d’un nombre impressionnant de langues (arabe de différentes régions, pashtoun, tigrigna, farsi, etc).

C’est la première action de soins de ce type « urgence internationale » que MdM France organise, et elle n’est pas destinée à être pérenne (en principe jusqu’au début du mois de septembre). MdM veut surtout montrer que des besoins de santé ne sont pas satisfaits, et qu’il appartient aux autorités de prendre le relais. Auparavant en effet, l’accès aux soins était fort aléatoire et ceux-ci très segmentés et totalement saturés : une consultation infirmière à Jules Ferry, à 2 kms de la majorité des campements et avec une limitation du nombre des patients vus chaque jour, et des soins dispensés dans Calais, à 7 kms encore, avec les mêmes limites du nombre de prises en charge, le tout se traduisant par de nombreux refus, reports ou renoncements. Bien évidemment, le témoignage et le plaidoyer auprès des autorités publiques seront nourris par les données systématiquement recueillies pendant les soins, mais, même si cet objectif est prioritaire, comme dans tous les désengagements de mission, une attention particulière devra être gardée pour éviter un arrêt brutal des soins. C’est là le défi quotidien de MdM et de son trépied fondateur que de garder l’équilibre et l’importance relative de chacun des trois pieds (soigner/témoigner-plaider/changer), pour que les soins ne deviennent pas la seule priorité mais pour qu’ils ne soient pas non plus seulement un des processus d’alimentation des plaidoyers.

Les problèmes de santé les plus souvent rencontrés sont les suivants :

  • Sur le plan traumatologique, des lésions le plus souvent liées aux longues marches, aux tentatives pour passer au-dessus des clôtures récemment rehaussées de frises de barbelés ou de lames de rasoir (résultat de la collaboration entre la France et l’Angleterre en matière d’immigration) et se glisser dans les camions ou dans les trains à l’entrée du tunnel, aux chutes de ces derniers, etc : ampoules aux pieds, entorses, fractures (calcaneum), plaies diverses notamment au niveau des mains, lombalgies, etc. ; il faut comprendre que ces migrants qui ont par exemple traversé à leurs risques et périls le Soudan (dont parfois le désert de plusieurs centaines de kms, avec la faim et la soif), la Lybie (avec ses bandes de rançonneurs et une « police » coupable d’exactions), puis traversé la Méditerranée en canot pneumatique ou en bateaux surchargés (dont on connaît les naufrages et toutes les noyades qui s’ensuivent), puis l’Italie et la France du Sud au Nord, sont déterminés à passer coûte que coûte, souvent pour rejoindre de la famille ou des amis en Angleterre ; parfois ce sont des séquelles de mauvais traitements ou de tortures subies au pays que les migrants viennent montrer, comme pour faire constater les souffrances endurées sans rien demander de précis (tel ce jeune homme dont on avait arraché tous les ongles des pieds qui resteront à jamais douloureux, ou cet autre atteint d’un torticolis depuis plus de 10 ans, suite de coups répétés sur la tête et le cou).
  • Sur le plan dermatologique : furoncles, impétigo, eczéma, intertrigo mycosique, liés aux mauvaises conditions d’hygiène, et surtout la gale qui nécessite à la fois un traitement local de la peau (crème ou spray), et un traitement des vêtements et de la literie (poudre à pulvériser dans un grand sac poubelle laissé fermé au moins 8 heures) ; les cas de gale sont très nombreux chaque jour ; on essaie de noter la localisation des patients dans la jungle car les migrants se regroupent généralement par ethnies dans des séries de tentes plus ou moins grandes ; des secteurs à risque de gale « importée » ou contractée au camp sont ainsi identifiés ; la gale s’ajoute encore à toutes les misères organiques et liées au déracinement, et contribue fortement à miner le moral de ceux qui en sont atteints.
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  • Des lésions génitales, des chancres, des infections urinaires, des hémorragies gynécologiques liées au non-renouvellement de la contraception par injection trimestrielle régulièrement pratiquée en Erythrée.
  • Sur le plan respiratoire, quelques cas d’asthme et de très nombreuses viroses (rhinopharyngites, laryngites, trachéo-bronchites) ne nécessitant pas d’antibiotiques a priori, mais parfois un foyer pulmonaire justifiant une radio via la PASS pour éliminer une cause microbienne ou même une tuberculose ; actuellement il fait froid à Calais, les pluies torrentielles fréquentes entraînent la désolation dans le camp et les migrants arrivent souvent avec des capuches et des pulls, s’ils en trouvent.
  • Dans le domaine de la santé mentale, des plaintes d’insomnies, de céphalées de tension, d’état anxieux et, surtout, de stress post- traumatiques liés au déracinement et aux récents trajets de vie ; les migrants, souvent urbanisés et d’un bon niveau d’éducation, sont alors choqués d’arriver sur le bidonville de la jungle dans des conditions de logement et d’hygiène misérables, et sans trouver dans nos pays ce qu’ils espéraient ou qu’on leur avait promis.
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La vie aussi continue, envers et contre tout et contre beaucoup (pas tous), comme en témoignent certains petits commerces, l’aménagement de lieux pour écouter de la musique, des rassemblements de convivialité, montrant bien que si ce sont les facteurs externes qui conditionnent essentiellement le bien-être (comme la santé ou même le bonheur), la résilience individuelle peut les relativiser et permettre la vie et pas seulement la survie.

La presse et tous les media (jusqu’aux japonais) sont présents dans le camp, en permanence, quasi tous les jours, y faisant leurs choux gras pour les présenter à leurs publics. Personne ne peut donc ignorer ce qui se passe là-bas à Calais (ni ailleurs …).

Toute la misère du monde est bien là, mais nous ne sommes décidément pas prêts à l’accueillir.

 

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