Vies rétrécies : conséquences psychologiques de l’immobilité contrainte de migrants à Istanbul

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Photo issue du webdocumentaire Les voyageurs

De nombreux migrants vivent dans le quartier de Kumkapı, à Istanbul. Par groupe de trois, quatre, les mains dans les poches, tentant de se donner une contenance, désœuvrés, ils traînent dans les ruelles. Quand nous nous promenons, pour donner des informations concernant le nouveau centre sociomédical, il est facile d’entrer en contact. Ils restent légèrement sur la défensive, gênés, se demandent ce qu’on leur veut. Une méfiance légitime teinte nos premiers contacts. Le lendemain, nous les recroisons, sourires, signes de la main. Le surlendemain, nous nous saluons, nous demandant des nouvelles comme si nous nous connaissions depuis longtemps, comme si nous nous croisions souvent dans le quartier et devenions de bons voisins. Ils existent peut-être enfin dans cette ville qui les ignore avec dédain.

Certains nous ont invités dans leur logis de fortune. Je garde souvenir de ce Soudanais, très grand, aux gestes princiers, qui court nous acheter jus de fruit et café et dont les yeux brillent à l’idée d’avoir des invités. Nous le suivons dans d’interminables étages qui mènent à une mansarde. La hauteur de plafond n’excède pas un mètre soixante-dix dans sa partie la plus haute. J’y circule à peine. Il y habite, en permanence recroquevillé, le corps cassé en deux. Il s’intéresse à nous, se raconte un peu, en anglais. Il parle de la guerre à l’origine de sa fuite. De sa mère dont il n’a depuis plus de nouvelles. Une seule pièce remplie de valises, un canapé de fortune derrière lequel un lit où dort un homme. Ils sont quelques-uns à partager ces dix mètres carrés. Leur point commun est le pays d’origine.

 

Le centre sociomédical

 

Janvier 2012, il fait froid. Les bénéficiaires du centre de santé de Kumkapı sont nombreux, issus d’Afrique Subsaharienne pour la majorité. Ils viennent pour un conseil médical. Leur demande de soin est lancinante et le corps au centre de leur préoccupation. La salle d’attente est remplie de visages silencieux. Un soignant du centre présente nos intentions – établir un espace de libre parole – et la plupart acceptent de nous rencontrer.
Ils souhaitent témoigner, disent-ils, pour que les Droits de l’homme soient respectés et parce qu’ils pensent que nous pouvons les aider à obtenir des papiers. Des papiers qui leur permettraient de vendre leur force de travail, de gagner enfin suffisamment d’agent pour vivre dignement.

Le projet

Chez la plupart des personnes rencontrées, le voyage n’a pas le caractère épique de certains parcours migratoire. Elles ont pris un avion, simplement. Du Sénégal par exemple, il est facile d’obtenir un visa pour la Turquie, si proche de l’Europe que certains pensent qu’elle en fait partie. Elles fuient la misère, la peur, la guerre, avec le fol espoir de se trouver dans une autre partie du monde. Elles ont décidé ou ont été désignées (par leur famille) et ont franchi le pas. Elles ont fait le saut hors de l’insupportable vers un futur potentiellement clair et supportable. Elles ont décidé. Avec courage. Parce qu’il en faut du courage, pour prendre un aller-simple vers un continent inconnu. Il en faut du courage, des illusions, de la naïveté pour monter dans l’avion. Le projet migratoire est pour tous un projet de survie. Jamais la migration ne s’est exprimée auprès des personnes rencontrées en termes de choix mais en celui de nécessité. Un jeune Congolais, René nous dira : « Pour moi, c’était partir ou mourir. »

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