Il était plus facile d’avoir de l’eau à Port-au-Prince juste après le séisme qu’à Calais

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Jean-Paul Barlatier, logisticien

©Sarah Alcalay

Après plusieurs expériences à l’international, Jean Paul Barlatier a été recruté en renfort sur le mode d’urgence, cet été à Calais, afin d’y monter une opération eau/assainissement/hygiène (WASH) avec une équipe de bénévoles.

La Boussole : Comparativement aux standards internationaux, comment décrirais-tu les camps de Calais ?

Jean-Paul Barlatier : La première remarque qui me vient à l’esprit est qu’à Port-au-Prince, juste après le tremblement de terre, il était plus facile d’avoir de l’eau qu’à Calais. Ici c’est mission impossible, bien que les choses semblent évoluer. Concernant les structures d’accueil ce sont les pires camps de réfugiés que j’ai vus dans le monde… En principe, le pays d’accueil met à disposition des acteurs de l’humanitaire un ou plusieurs lieux parmi lesquels on choisit celui qui nous semble le plus opérationnel. A Calais, il n’y a rien. Chaque fois que nous nous implantons quelque part, les migrants se font virer. Nous ne pouvons pas travailler correctement. Non seulement nous faisons le travail à la place du gouvernement mais en plus il nous empêche de le faire correctement, c’est vraiment un comble. Même si encore une fois la situation semble évoluer.

Logistiquement, ce que nous avons monté à Calais est une petite opération sur le modèle international avec des bénévoles ce qui n’est pas facile. Ils ne sont pas formés, ni toujours aptes à réagir mais nous avons réussi à travailler correctement.

LB : Comment se déroule ta mission sur le terrain ? Quelles en sont les étapes ?

J-P.B : Quand je suis arrivé, l’intervention sur Calais était assez réduite: une petite distribution et des équipes de médiateurs. Nous avons mis en place des distributions plus importantes notamment juste après l’expulsion de 150 à 200 personnes pour fournir des tentes, des duvets, des bâches et des kits d’hygiène.

Très rapidement notre priorité a été de monter une opération eau/assainissement/hygiène (WASH). Je suis d’abord parti sur l’idée de faire de la distribution d’eau à grande échelle. Mais l’eau doit être irréprochable, pour cela il aurait fallu avoir des équipes formées à faire de l’analyse d’eau et de chloration. C’était trop compliqué, d’autant plus que sur Calais nous n’avons pas réussi à trouver d’eau : nous avons demandé au service des eaux de Calais qui nous a renvoyés sur la Mairie, or la Mairie refuse. Nous nous sommes tournés vers les pompiers pour demander une mise à disposition de bornes, ils nous ont également renvoyé sur la Mairie. Le premier point d’eau envisageable était à 30km de Calais. Une telle distance, impliquait trop d’allers-retours. Il a fallu laisser tomber.

Nous avons alors monté une intervention mobile avec un camping-car qui cumule environ 110 litres d’eau ce qui nécessite 1 heure pour remplir et vidanger le réservoir. En théorie on peut assurer jusqu’à 20 douches par jour. Ce dispositif est valable si on tourne avec au moins 2 véhicules : le camping-car avec une équipe logistique et médiation et une voiture pour la distribution et l’accompagnement à la P.A.S.S. J’avais peur que notre dispositif soit un peu ridicule. J’ai été agréablement surpris : notre offre, même limitée, s’est avérée très pertinente de par l’importance de son impact psychologique. Imaginez le bonheur pour une personne qui n’avait pas pu se doucher depuis 10 jours ! Ajouté à une distribution et de la médiation, l’impact est fort. Nous avons choisi des lieux sans trop de monde pour que le camping-car ne soit pas « pris d’assaut ». Nous avons expliqué que nous avions de la place pour 10 et tout s’est très bien passé. Pendant l’attente nous discutons, nous distribuons… Nous essayons de faire tourner le camping-car trois jours par semaine. Cela dépend des disponibilités en ressources humaines : il faut au moins 5 personnes avec au minimum un responsable logisticien ou médiation pour gérer, un chauffeur, un assistant logisticien, un médiateur et un interprète.

C’est une belle opération, avant mon départ nous avons pu acheter le camping-car que nous louions jusque-là.

Juste après l’expulsion, des no-borders ont occupé une usine désaffectée assez grande. Nous avons enfin pu nous poser dans cette immense usine avec plusieurs points d’eau, une pente inclinée et une évacuation d’eau pour les douches… le bonheur ! Nous avons posé des blocs douche comme dans les camps de réfugiés. Nous avons loué 5 toilettes et avons couvert les besoins en hygiène primaire sur le squat des Salines. Nous avons également distribué des kits d’hygiène et monté de grandes tentes. Enfin une action que l’on peut suivre. Deux ou trois fois par semaine une équipe part bricoler (entretien des douches/tentes, contrôle des toilettes) et faire un peu de ménage. On appuie aussi les services du fournisseur. Tout se passe bien même s’il y a eu des moments un peu chauds notamment quand les toilettes sont devenues une infection. Contrairement aux réfugiés qui s’approprient les structures, les migrants sont dans une logique de transit et se fichent d’entretenir les toilettes. Il a fallu communiquer, mettre des panneaux partout. Les no-borders ont entamé des pré-nettoyages de toilettes.

LB : Vous avez été recruté en renfort sur le mode d’urgence pour une durée déterminée… Quels sont vos objectifs sur le court terme ?

J-P.B : « Ce matin quelqu’un m’a demandé jusqu’à quand j’allais rester », je lui ai répondu que le budget urgences allait jusqu’à fin septembre… « Et alors, après il n’y a plus de migrants, plus de problème ? ». En un mois et demi nous pouvons mesurer l’impact de notre déploiement sur Calais. J’ai l’impression que les autorités et les différents partenaires ont vu que MdM déployait de grands moyens et qu’il y a eu un arrêt des expulsions. Les négociations se mettent en place. Nous allons peut-être avoir un point d’eau à Tioxide, dans le plus grand camp, là où il y a le plus de migrants. Nous pouvons même espérer y mettre en place un programme WASH. Jusqu’ici nous avons distribué de l’eau potable, des jerricanes et des bâches.

Sur le squat des Salines, nous avons obtenu un début de ramassage régulier des poubelles par la mairie. Jusque-là elles restaient sur place et les bénévoles les prenaient dans leur voiture pour les jeter en cachette. On peut voir une volonté de ne pas envenimer les choses car la situation est déjà assez tendue.

Le programme WASH est notre priorité, nous ne sommes pas sur l’alimentaire.

Nous travaillons avec les autres associations. Leurs moyens sont limités, elles n’ont pas de logisticiens. MdM est l’acteur moteur.

Le but reste de faire bouger les autorités car nous n’avons pas les ressources pour couvrir tous les besoins. Notre action est utile car les parties se remettent à la table des négociations.

 

LB : Quelles sont les demandes et les réactions des migrants par rapport à la logistique ?

 

J-P.B : Les besoins sont criants : de la nourriture, de l’eau, des douches et des soins. Au niveau médical nous referons sur les structures existantes (P.A.S.S).

Ils sont extrêmement contents des douches. MdM commence à être connu, malgré le fort turnover des migrants. En ce moment leur demande c’est l’eau. Les réactions sont variables, certains sont des « professionnels » comme ceux que j’ai reconnus parce que je les avais croisés en 2010 en Tunisie (camp de Choucha). Ceux-là sont habitués à une assistance ONG, ils leur arrivent d’être exigeants. Généralement tout se passe bien. Sur Tioxide les distributions restent difficiles car les gens se battent pour une bouteille d’eau.

LB : Comment s’est passée la prise de marques avec le logisticien et avec l’équipe bénévole ?

J-P.B : Heureusement que Tayeb, le logisticien du programme, était là quand je suis arrivé. Normalement, il devait être en vacances. Il gère principalement les commandes et suit l’action sur Dunkerque. Il a été une précieuse ressource pour démarrer le projet. Il a dû partir en congé pour souffler car il était épuisé.

C’est la première fois que je travaille avec des bénévoles. J’ai l’habitude de conduire de grosses équipes de salariés que l’on forme et à qui on peut assigner une fonction. Les bénévoles ne viennent pas tous les jours et arrivent entre 9h et 10h. Pour s’organiser c’est difficile : on ne peut pas compter sur tout le monde tout le temps, particulièrement pendant les vacances. On reste sur de la débrouille, il y a une forte demande de cadrage et de formation.

Sur ce programme j’ai eu la chance d’avoir une belle équipe de bénévoles à la logistique des gens disponibles, motivés. Je leur tire mon chapeau ils ont fait un super travail.

Propos recueillis par Benoit Vierron

Le parcours de Jean-Paul Barlatier au sein de MdM

AMAP02J’ai commencé en 1992 avec MdM en ouvrant un programme en Afghanistan où j’ai enchaîné sur une deuxième mission. Puis, toujours, avec MdM je suis parti au Cambodge. Après quelques missions avec d’autres organismes, je suis revenu avec MdM l’année dernière où je suis allé fermer le programme santé sur la province de Bong, au Liberia, après 10 ans de fonctionnement.

 

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