Soigner est un acte politique

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Témoignages // Hommages  // Mémoire 

Lorsqu’il y a 30 ans, jeune médecin, j’ai été accueilli au Cabinet Médical Olivier Noyer, où exerçaient déjà depuis une dizaine d’années Dominique, Philippe, Anne et Jean-Pierre, j’avais appris la médecine dans une bonne faculté parisienne auprès de « grands professeurs ».

Mais sous l’ombre bienveillante de ces quatre ainés, c’est autre chose que j’ai appris. J’ai appris à soigner, à prendre soin.

Quelle différence, me direz-vous, avec ce qui m’avait été enseigné à la faculté et dans les hôpitaux ? Et bien je prenais tout simplement conscience que soigner est un acte politique.

Un acte politique en ce sens où nous abandonnions le rapport de pouvoir vertical médecin-malade pour aller vers un rapport plus horizontal soignant-soigné, et je dirais même sujet-sujet. Car il s’agit de cela, ne jamais oublier que celle ou celui qui nous accorde sa confiance, qui plus est dans une situation de vulnérabilité, demeure un sujet pensant et désirant.

A nous ensuite de « bricoler »,  tout en gardant le cap intransigeant d’un principe éthique : le respect de la dignité de ceux que nous soignons..

Pour résumer ce bricolage, Jean-Pierre avait une expression que je garde comme un trésor : « la médecine que nous faisons ce n’est pas du prêt-à-porter, c’est de la haute-couture ». Oui, bien loin des « grilles décisionnelles » dont on nous assomme et qui nous font perdre cette créativité de la clinique où Jean-Pierre excellait.

Le soin donc comme acte politique, nul autre ne l‘incarnait mieux que Jean-Pierre.

Mais si la pratique du soin, dans le cadre du cabinet, était au fondement et au cœur de sa réflexion, Jean-Pierre, militant infatigable depuis sa jeunesse, avait besoin d’aller plus loin, besoin d’aller porter sa parole dans l’espace public pour que les choses changent à plus grande échelle que dans celui confidentiel de la consultation.

Aller vers les personnes toxicomanes « exclus des exclus », comme il le répétait, en respectant leurs choix mais en les aidant à prendre moins de risque pour leur santé, Jean-Pierre a été l’un des initiateurs du concept de « réduction des risques ». Médecins du Monde a été pendant trente ans son magnifique porte-voix.  Il y a trouvé des amitiés fortes et des complicités actives avec lesquelles  sa créativité a donné forme a des actions concrètes (programmes d’échange de seringues, bus méthadone, salle de consommation, etc.) qui ont fait bouger, définitivement espérons-le, les lignes de force qui traversent la société française. Et il était touchant de l’écouter, les yeux pétillants de malice, même encore quelques semaines avant de disparaître, raconter à quel point il était lui-même surpris par l’efficacité de cette parole publique qui a laissé son empreinte auprès de bien des « décideurs »…

Je viens de parler d’ « amitiés », car je crois que ce que construisait Jean-Pierre dans sa sphère professionnelle, avec l’attention respectueuse, presque pudique, qu’il portait à ceux avec qui il travaillait, construisait aussi des amitiés. Comme bien d’autres, j’ai le souvenir de soirées mémorables, autour de quelques bonnes bouteilles choisies avec soins, à décrypter la pensée allusive de Jean-Pierre abordant ses philosophes préférés, le dernier roman lu jusque tard au milieu de la nuit (il fallait bien trouver le temps…), et bien sûr la politique… Jean-Pierre grattant sa tignasse lorsque la réflexion se faisait plus profonde, Jean-Pierre s’esclaffant de son rire franc, Jean-Pierre les yeux plissés de malice…

Alors merci Jean-Pierre de tout cela.

Et puis une dernière confidence, Jean-Pierre : moi qui travaille désormais avec la jeune génération : Sylvain, Marie-Sophie, Sabine et Judith, lorsque je vois la qualité de leur travail de « haute-couture », je peux t’assurer que la relève est là et que nous te devons beaucoup.

Adieu camarade

Dr Pierre Lamache

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