Le rôle fondamental des travailleurs pairs

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L’équipe de Médecins du Monde à Myitkyina compte une trentaine de travailleurs pairs. Ces professionnels de terrain mettent leur expertise et leur expérience au service de l’association. Tandis que certains sont eux-mêmes usagers de drogues, d’autres sont d’anciens consommateurs à présent sous traitement méthadone. Leurs missions, très variées, vont de l’accueil des usagers à la clinique, à la collecte et la distribution de seringues et d’aiguilles.

De l’importance des travailleurs pairs

Les travailleurs pairs font le lien entre les équipes MdM et les usagers de drogues les plus en marge des institutions. 

Les travailleurs pairs ont une connaissance des produits qui augmente leur légitimité à partager des conseils sur les pratiques à moindre risques. Des consommateurs de drogues qui refusent de se rendre à la clinique de MdM par peur du jugement, aux usagers qui appréhendent les résultats d’un dépistage, la permanence du lien engagé auprès de la population concernée est la condition première de ces professionnels de terrain. 

A Myitkyina, la situation est en évolution constante en raison de la multitude des acteurs en présence. Un groupe de miliciens catholiques anti-drogues du nom de Pat Jasan sème la terreur depuis quelques années, contraignant les personnes usagères de drogues à se cacher et à changer de lieu régulièrement. La crainte d’être découvert peut également conduire à des pratiques plus dangereuses, augmentant les risques d’overdoses. Dans ces circonstances, le travail des équipes se complexifie ; le rôle des travailleurs pairs n’en est que plus important. 

Un vendredi à Myitkyina ; un jour comme les autres, ou presque : 4 overdoses par injection d’héroïne ont eu lieu quasi simultanément, à quelques kilomètres de distance.

L’intervention rapide de deux travailleurs pairs des équipes de prévention de MdM a permis de sauver trois victimes d’overdose sur quatre, grâce à l’utilisation de Naloxone. La Naloxone est un produit administré par voie nasale – ou, comme ici, par voie intraveineuse – qui bloque les récepteurs dans le cerveau humain, faisant office d’antidote en cas de surdose d’opiacées. Il permet ainsi d’agir vite en cas d’overdose.

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Portrait des deux travailleurs pairs

Vers midi trente, des habitants de Myitkyina appellent Noe Jaw*, un des travailleurs pairs de leur quartier, car ils viennent de trouver trois jeunes garçons inanimés sur les rives de l’Irrawaddy (le fleuve birman). Dès son arrivée, Noe Jaw tente immédiatement de réanimer les victimes. L’un d’entre eux, âgé d’une vingtaine d’années, est déjà décédé. Il injecte alors le produit au niveau de l’épaule aux deux autres personnes. Quelques minutes plus tard, le premier reprend ses esprit. Le second garçon est toujours inconscient – parfois, une seconde administration de Naloxone est nécessaire. A court de produit, Noe Jaw contacte un collègue de MdM qui arrive rapidement sur les lieux. Finalement ranimé après la deuxième injection, le garçon sera tout de même conduit à l’hôpital pour surveiller son état. Selon le travailleur pair, les trois personnes avaient consommé de l’alcool peu avant de s’injecter une dose d’héroïne.

Peu de temps après, tandis qu’il sort de sa réunion hebdomadaire à la clinique de MdM, un second travailleur pair nommé Hla* est appelé pour des circonstances similaires. Il se rend dans une grande ferme au Nord de la ville. Quelques minutes plus tard, il est au chevet d’un jeune homme de vingt-six ans, inconscient. Lèvres violettes, souffle coupé, Hla reconnait tout de suite les signes caractéristiques de l’overdose. “Dans cette situation, je n’ai pas le temps d’avoir peur, je sais que je dois agir vite” explique-t-il. Hla administre une dose de Naloxone au garçon qui reprend peu à peu connaissance ; il reste à ses côtés une trentaine de minutes en surveillance, avant de passer le relais à son entourage. 

Les personnes qui consomment des drogues dans l’Etat Kachin sont victimes d’une forte discrimination les contraignant à adopter des conduites à risque : consommation cachée, trop rapide ou mélange de produits pour augmenter les effets, parfois au détriment de leur vie.

Des formations sont dispensées au sein des équipes pour appréhender ce type de situation.

Depuis 2016, le centre de formation, de ressources et de plaidoyer de MdM renforce les savoirs et les savoirs-faire des acteurs à la réduction des risques. Des formations d’une journée sont proposées aux travailleurs pairs afin d’intervenir en cas d’overdose sur le terrain. La Naloxone est mise à la disposition du personnel. Les personnes qui consomment de la drogue ont aussi pu bénéficier de cours pratiques afin de renforcer leurs capacités d’agir ; c’était une réelle volonté exprimée de la part de la population.

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Pour les deux travailleurs pairs, il s’agissait de leur première expérience d’injection de Naloxone. Noe Jaw et Hla sont membres de MdM depuis cinq ans. Félicités pour leur réactivité, ils ont par la suite été contactés par les familles des trois survivants qui leur ont donné des nouvelles rassurantes. 

Rendre accessible la Naloxone pour tous est une nécessité

La Naloxone est un produit facile d’utilisation qui ne comporte aucun risque – même utilisé par erreur. Il doit être mis entre les mains des personnes les plus proches d’éventuelles situations d’overdose : travailleurs pairs, personnes usagères ou dealers de drogues, qui sont les premiers témoins de ces accidents. Les travailleurs pairs sont les premiers acteurs du terrain ; leur expérience personnelle est leur outil professionnel, leur quartier est leur lieu de travail. 

Pour l’heure, ce médicament est délivré dans la plupart des pays du monde ; mais par ordonnance uniquement. Ce qui est un frein considérable à son utilisation par les populations concernées. De nombreuses études, approuvées par l’Organisation Mondiale de la Santé notamment, suggèrent qu’une plus large diffusion du produit permettrait de réduire le nombre d’overdoses dans le monde de manière significative.

MdM reconnait l’accès pour tous à la Naloxone comme une stratégie effective dans la gestion des overdoses. Ce médicament est d’autant plus précieux dans les contextes répressifs, comme c’est le cas au Myanmar. Les deux interventions mentionnées plus haut témoignent des risques pris par les populations. 

* Les prénoms ont été changés.

 

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