Les usagers de drogues se mobilisent dans l’Etat Kachin

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Dans le quartier de Kyun Pin Thar, situé à l’ouest de Myitkyina, les personnes usagères de drogues sont exposées à la violence de la police et des groupes anti-drogues, soutenus par la communauté locale. Particulièrement vulnérables, ces personnes voient leurs droits de citoyens les plus élémentaires bafoués au quotidien.

Unir pour mieux agir

Mat, consultant pour Médecins du Monde, tente de renforcer les capacités d’agir des consommateurs de drogues afin d’amorcer un processus de mobilisation au sein de la communauté.

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Créer une relation de confiance mutuelle implique de se dévoiler pour aborder les problèmes de façon concrète, sans tabou. Pour cette raison, Mat travaille en transparence en confiant ses propres pratiques de drogues. Pour appréhender les besoins et les attentes de la population, il a réuni un petit groupe d’usagers de drogues de Kyun Pin Thar avec l’aide des équipes de terrain MdM. Intriguées par l’agitation, cette première réunion attire d’autres personnes du quartier ; c’est déjà une petite victoire compte tenu des réticences communautaires communément observées.

Comment passer d’une agrégation ponctuelle des membres à un groupe militant et actif ?

A Kyun Pin Thar, la plupart des usagers de drogues se connaissent et consomment ensemble. Lors de la réunion en groupe, les membres ciblent ensemble leurs difficultés en échangent autour de leurs pratiques respectives. Tout d’abord, il apparaît que les seringues utilisées sont des seringues musculaires, à l’origine de nombreuses infections en raison de leur taille. Par ailleurs, la présence des Pat Jasan, groupe de miliciens anti-drogues ultra-violent, induit la nécessité de se cacher et donc de se tenir à distance des informations liées aux pratiques à moindre risque. La police aussi est un facteur de risque : c’est 130 000 kiats (environ 30 000 dollars) ou la prison – soit la bourse ou la vie. Enfin, le problème rencontré par le groupe est celui des overdoses. Un rapide sondage à main levée permet de constater que la majorité d’entre eux en a été le témoin ou la victime.

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Pour répondre aux problématiques de prévention et de protection, les personnes présentes votent en faveur de la création d’un groupe officiel. Exister, c’est être visible et reconnaissable dans la société civile. L’important est de s’entraider grâce à une identité collective forte, pour se protéger des violences subies. Le message envoyé véhicule l’idée que “si tu m’attaques, tu n’attaques pas un usager de drogues, mais le membre d’un groupe solidaire”, explique Mat. Cette plateforme aborderait la question des pratiques dans le but de les diffuser aux usagers des quartiers les plus éloignés des institutions. Ce sont les attentes que formulent les membres du groupe. Ce rassemblement est une ébauche du projet commun. Un deuxième rendez-vous est posé une semaine plus tard pour faire le point.

Le samedi suivant, le groupe se réunit chez un travailleur pair. Une quinzaine de personnes – usagers, anciens consommateurs et travailleurs pairs – ont répondu présents pour poser les bases institutionnelles du projet commun. Mat suggère la mise en circulation d’un T-shirt, et la création d’un logo destiné à rassembler. C’est un acte symbolique matérialisant la volonté de changement social des personnes du quartier. La participation est alors active ; les idées fusent, sont soumises à débat. Créativité et consensus sont les mots d’ordre. On se met d’accord sur un oiseau en plein vol, une aigrette blanche sur un fond noir : la couleur symbolise l’héroïne, tandis que l’attitude du volatile représente l’état dans lequel plonge la consommation du produit. Deux membres de l’assemblée se désignent pour représenter la communauté : un travailleur pair, et Jules, 38 ans. A l’aise, cette dernière ne manque pas une occasion d’intervenir car selon elle “il est important d’être solidaire et de partager les informations sur les risques liés à la pratique“.

Reconnaître les signes de l’overdose et administrer les bons produits

L’ensemble des équipes de MdM reçoit des formations régulières sur l’utilisation de la Naloxone. La Naloxone est un médicament “antagoniste” aux opiacées, utilisé pour lutter contre les effets de leur surdose. Cette compétence permet notamment aux travailleurs pairs de sauver des vies dans leurs zones d’intervention.

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 Distribution de Naloxone aux personnes présentes lors de la seconde rencontre

Après seulement deux séances, Mat perçoit une nette évolution dans la dynamique de groupe. Chacun parle avec animation et partage son point de vue sur ce qu’il attend et les actions futures à mener. Constituer un groupe de plaidoyer semble pour l’heure assez difficile, mais il sera plus aisé de communiquer avec des organisations du territoire déjà structurées. L’agrégation d’une poignée d’usagers de drogues n’est que la première pierre posée ; d’autres étapes suivront. Les personnes présentes se considèrent comme des acteurs importants du territoire. Ils auront un rôle à jouer dans la reconnaissance de leurs droits auprès d’une partie réticente de la communauté. Le sentiment d’être légitime dans ce combat est un grand pas en avant.

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Sai Kyaw, 33 ans, est travailleur pair à Myitkyina. Il a été désigné pour être l’un des membres actifs du groupe Kyun Pin Thar drug user. Il évoque la construction du groupe, les difficultés et les perspectives à venir, trois semaines après l’intervention de Mat.

MAT13 LBLors de la première réunion avec Mat, j’ai proposé à plusieurs personnes du quartier de m’accompagner ; la seconde a eu lieu chez moi. Aujourd’hui, notre groupe compte environ 20 membres. Être un groupe, c’est s’entraider et partager des informations sur l’éducation à la santé. Il y a de plus en plus de consommateurs adolescents et nous voudrions les aider et les informer.

Pour l’instant nous n’avons pas d’endroit officiel, nous nous réunissons chez moi. Ce n’est pas très pratique et cela m’expose davantage aux yeux des autres. Il est aussi difficile d’instaurer un moment précis pour se rejoindre. J’aimerais que cela soit possible une fois par semaine mais certains travaillent loin.

Mat reviendra en septembre avec les T-shirts portant notre logo, cela va fédérer le groupe. Il faudra aussi trouver un autre lieu pour se réunir. Et nous aimerions être encore mieux préparés à la gestion des overdoses.

 

 

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