Le langage des émotions, atelier co animé avec les jeunes exilés

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Cécilia Nguyen, animatrice de prévention/réduction des risques, Médecins du Monde Normandie

Il n’est jamais facile d’aborder des sujets tels que la sexualité et les relations affectives avec des jeunes. A Rouen, au sein de notre programme dédié au Mineurs non-accompagnés (MNA), nous avons  souhaité expérimenter la co-animation d’ateliers psychosociaux par les jeunes et les bénévoles, plutôt que de nous lancer dans des ateliers de prévention plus « classiques ». Après une expédition à l’instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (IREPS) pour choisir les outils, nous avons préparé, improvisé et animé ensemble ce premier atelier.

Permettre aux jeunes et aux intervenants de s’exprimer et de parler de soi, favoriser les échanges entre pairs – avec un focus sur les émotions et l’expression des besoins – ; tels étaient nos objectifs.

Vendredi après-midi, jour de la traditionnelle permanence MNA à Médecins du Monde, Rouen.

Avec David, nous nous jetons à l’eau : improviser ce premier atelier avec les jeunes ! Un peu nerveuse, car entre deux feux des consultations  de prévention de l’institut national du cancer (INCa) au 1er étage, nous préparons la salle à la volée afin d’installer les cartes. Samy m’aide à grimper le paperboard au 3ème étage. David mobilise ses camarades un par un. Les fesses de certains sont difficiles à décoller des chaises scotchées devant l’ordinateur, mais ils s’installent tous autour de la table : 8 jeunes et 2 bénévoles – avec un passage furtif d’Anne-Sophie et de Samy (stagiaires du centre d’accueil, de soins et d’orientation – CASO). Chacun se présente, l’occasion de noter tous les prénoms sur le paperboard pour la suite.

David anime la séance.

J’ouvre l’atelier et laisse rapidement la place à David.  La première partie se fait autour du langage des émotions.

« Alors là, les cartes ça représente des émotions, chacun va choisir 1 à 3 cartes pour dire comment vous vous sentez aujourd’hui… ».
On étale tous les petits bonhommes sur la table et chacun s’affaire à lire, choisir, réfléchir… Ces personnages affichent : « Je suis en colère », « Je suis en sécurité », « Je suis sous pression », « Je suis pensif », « Je suis enthousiaste », etc… David insiste sur l’importance de cet exercice : « Je trouve que c’est important qu’on puisse dire ce qu’on ressent, faut pas garder trop de choses en soi, c’est bien qu’on puisse en parler, surtout entre nous ou bien au moins à quelqu’un d’autre. »

« Alors qui se lance ? »  

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« Énervé, en colère » contre l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), car la situation stagne malgré la motivation et la volonté de s’en sortir. « En sécurité » en France après avoir quitté leur pays où le danger était omniprésent, et les conditions dures. « Ennui, abandonné, pensif, triste » à cause de l’éloignement, de la perte de sa famille et de ses proches. « Pas aimée, blessée » de voir autant d’inégalités dans la prise en charge des uns et des autres. « Sous pression, anxieuse » de devoir s’occuper de tant de choses, mais de ne pas en avoir le temps. « Fier, fort, protégé » de se sentir entouré dans l’association, d’avoir eu le courage de traverser (la mer). « Intéressé, enthousiaste » de participer à cet atelier nouveau, de sentir les choses s’améliorer…

Chacun se livre à sa manière, avec ses mots. On ne met pas les mêmes significations derrière certains termes.

L’ennui pour référer au manque d’un être cher pour l’un, l’attente interminable et l’inactivité pour l’autre. Je suis touchée par leur sincérité. Je m’efforce néanmoins de poursuivre la discussion, tant bien que mal, afin qu’ils aillent au bout de leurs pensées. J’observe plusieurs instants de silence, comme autant de bols d’air, nécessaires pour eux – le besoin de se taire.

 …

La seconde partie reprend de plus belle. Même principe : David nous présente ce qu’il préfère, l’expression des besoins. 

« C’est quoi un besoin pour toi ? ». « Pour moi c’est avoir des choses meilleures, pour notre vie, c’est ce qu’on veut ».

Le besoin d’autonomie, de mouvement, d’espace. « Je veux pouvoir vivre par moi-même, pouvoir me prendre en charge et être dépendant que de moi-même ». Un long débat sur les conditions de vie à l’hôtel, qui s’apparentent à de la survie : « on est deux par chambres, c’est trop petit, on peut rien faire, pas travailler nos cours».

Le besoin d’évolution, de changement, de rêver. La volonté et la persévérance sont les moteurs de ces jeunes pour surmonter ce qu’ils attendent perpétuellement : une signature. Leur avenir semble dépendre d’un gribouillis sur une feuille de papier mettant une éternité à circuler. Le besoin d’opportunités aussi, qu’ils voient parfois passer à côté. Si près du but. 

Le besoin d’enthousiasme, de rires, de partage. « J’ai envie de passer du temps avec des amis, de bons moments, ça me manque ». Car malgré le sentiment de ne pas voir le bout du tunnel, c’est ce qui permet de tenir – certains regrettent de ne pas se voir en dehors du local. Même la plus silencieuse des coquilles s’ouvre, même notre flamingo, face à la tous, se découvre ; les liens habituels entre intervenants et jeunes se fondent pour nous révéler que nous sommes avant tout des êtres avec notre lot de maux, dont le(s) remède(s) sont déjà en nous-mêmes.

Grâce à eux, je me sens ASE = Admirative (de leur force et de leur détermination) ; Sensibilisée (par leurs revendications engagées) ; Égayée (par leurs sourires et ce, malgré…). Inou walli.

Outils utilisés :

 

1 COMMENTAIRE

  1. merçi Cecile nous nous sommes connues au BAM et tu m’avais parlé de ces cartes .J’anime demain mon premier atelier “santé” avec les jeunes migrants. j’ai pris quelques photos à l’ireps et je vais leur me renseigner pour me procurer ces cartes .
    Continue nos jeunes ont besoin d’étre entendus

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